Personne ne le fera pour nous

Mendelson

par Jérôme Florio le 06/11/2007

Note: 8.0    
Morceaux qui Tuent
1983 (Barbara)
Scanner
Personne ne le fera pour vous


Personne ne l'a fait pour eux : le double-album de Mendelson, dense et exigeant, mais qui parle du monde dans lequel on vit, n'a pas trouvé preneur auprès des maisons de disque - pourtant, depuis dix ans le groupe de Pascal Bouaziz s'attire les faveurs de la critique et un public fidèle. Après deux ans de démarches sans doute dégradantes, leur choix s'est porté sur la commercialisation directe du disque via leur site internet (et aussi sur des plateformes de téléchargement payant).

De telles dégoûtantes mésaventures suffiraient à justifier une certaine misanthropie. Mendelson est à contre-courant de l'air du temps : rejet de la connivence, du second degré (qu'un Philippe Katerine manie comme il faut), de la facilité à tous les niveaux de la composition. Mais il ne faut pas tomber dans le panneau que tend "J'aime pas les gens" : le ton rageur et peu amical de Pascal Bouaziz, porté par des guitares assassines, est une manière de rendre les coups que l'on a reçus. Dès "Je ne veux pas mourir" en 1997, la musique de Mendelson était un combat. La faute à pas assez d'amour, dit Bouaziz : pas le besoin narcissique des stars, mais celui que l'on ressent quand on est porté vers son prochain dans un élan naïf, et violemment brisé. Un thème récurrent de l'album semble être la perte d'identité, l'impression d'être un moi dissolu dans une masse dont on ne parvient plus à s'extraire - ne plus discerner si l'on est soi-même, plusieurs, ou bien personne.

A cette confusion répond le format éclaté des chansons, entre trois et onze minutes ; l'impasse est totale sur les structures couplet-refrain, Mendelson préférant travailler les variations d'intensité et une écriture organique, qui semble se créer à l'instant où le groupe joue. Les zébrures de guitares à l'arrière-plan de "Scanner" rappellent le beau son du dernier Idaho ("The lone gunman", 2005). Un bout de riff hendrixien (celui de "Fire", sur "Electric ladyland") et un saxo délirant boostent "Dans tes rêves". Le côté sombre, rock et littéraire peut aussi évoquer Kat Onoma. Il est pourtant possible de trouver des chansons diffusables à la radio ou en single ("Personne ne le fera pour vous", "Scanner"). Mendelson est totalement libre de ses mouvements pour créer ce son austère, électrique et introspectif.

Le phrasé parlé-chanté de Pascal Bouaziz n'existerait sans doute pas sans Alain Bashung ni Lou Reed : comme l'a écrit François Gorin dans Télérama, on pense au new-yorkais sur les onze minutes de "1983 (Barbara)". Avec cette chanson, Mendelson pourrait bien avoir réalisé (consciemment ?) son "Coney Island Baby" - remplacez juste Brooklyn par une cité de chez nous, le doo-wop par les ChocoBN et les pétards Mammouth. Mais ce ne sont pas les référénces générationnelles qui sont importantes, même si elles touchent directement. Comme chez Reed, un rythme de guitare en boucle, lancinant et mélancolique, aide à rentrer en soi-même pour chercher les images et les émotions du passé. A l'image de "Rue des Prairies" de Dominique A (sur "L'Horizon"), Bouaziz regarde son enfance, juste avant le départ vers une autre vie, à travers le prisme d'un amour pour une jeune fille, Barbara. Il brasse tout un monde disparu, abîmé : il faut une bonne dose de douceur et de violence pour se replonger là-dedans, et cela nous atteint par ricochet dans notre propre histoire. Tout le contraire de la nostalgie proprette et fabriquée à la Vincent Delerm.

Passé ce pic d'intensité, le deuxième Cd paraît longuet et vraiment maussade ("Joyeux Noël Jackie", "Rien"). L'ensemble n'en constitue pas moins un disque extrêmement solide et varié dans sa première moitié. La trajectoire cohérente que suit Mendelson, malgré les difficultés, tranche radicalement avec le tout-venant de la production française – qui m'aime me suive, en quelque sorte…