Su

Mercan Dede

par Damien Rupied le 30/09/2005

Note: 8.0    
Morceaux qui Tuent
Ab-i Tarab
Ab-i Hayat


Avec la perspective d'adhésion à l'Union Européenne, la Turquie risque de se retrouver assez souvent sous les feux de l'actualité dans les années à venir. Sera-ce suffisant pour provoquer une mode turque ou au moins un petit regain d'intérêt pour la culture de la Sublime Porte ?

En attendant d'être le passage obligé des autoproclamés "ouverts d'esprit", rien ne nous empêche d'apprécier dès aujourd'hui les dérives electro-soufies de Mercan Dede. "Su" est déjà son cinquième disque, le troisième pour le label Doublemoon. On retrouve ici son art subtil de mêler les lentes transes soufies des derviches tourneurs et les rythmes électroniques, assez loin des clichés du genre. Mercan Dede se situe plutôt dans la catégorie d'un Talvin Singh. Ce n'est pas un DJ qui aime à "exotiser" ses boucles électroniques avec des éléments traditionnels, mais bien un musicien qui a une profonde connaissance de la tradition, et qui, partant de là, cherche de nouvelles combinaisons sonores. D'ailleurs, Mercan Dede n'intervient pas seulement aux machines, mais joue aussi du ney (flûte de roseau traditionnelle) et des percussions. Et il s'entoure de vrais musiciens, à commencer par le formidable clarinettiste Aykut Sütoglu.

Pas de course rythmique effrénée ici, mais l'installation de climats voyageurs, où les instruments à vent tiennent le premier rôle. La thématique générale du disque renvoie à l'élément aquatique ("Su" signifie "eau" en turc). On entend ainsi des samples de cours d'eau et de grenouilles sur certains morceaux, ce qui accentue le caractère très organique de la musique. Mercan Dede semble en fait à la tête d'un navire amiral qui navigue entre différentes ambiances musicales. Si son port d'attache reste Istanbul, il rend une visite aux Indes à travers la voix de Susheela Raman invitée sur le morceau "Ab-I Beka". Remonte le long de la côte bulgare sur "Ab-I Hayat", où les sonorités balkaniques se mêlent à la fête. Et accoste dans le port de Tunis à l'appel du muezzin Dhafer Youssef sur "Ab-I Hazân". Les quelques mesures de rap, à la fin du disque, nous ramènent alors à la terre ferme, en plein dans la grouillante mégapole stambouliote, et viennent nous rappeler que Mercan Dede figurait dans le récent documentaire du réalisateur Fatih Akin, "Crossing the bridge - The sound of Istanbul". Bon voyage !