Michel Corringe est mort en 2001, en
octobre, à Lorette dans la Loire. C'est un euphémisme de dire que
ce fut dans une discrétion totale, tant les Libération,
Inrockuptibles ou autre Telerama, nos dépositaires attitrés de la
meilleure façon de lire, de voir et de penser passèrent sa mort
sous un silence assourdissant.
Rancoeur...
Retour sur une
époque, les années soixante-dix, que le bouquin de Claude Arnaud
célèbre justement en cette rentrée ("Qu'as-tu fait de tes
frères" - Grasset). En 1973, Corringe, 27 ans, est un peu, dans
le domaine de la chanson française, le héros de la minorité la
plus agissante de sa génération, celle qui revendique de mettre en
pratique les slogans de 68, esquissant son réseau de contre-valeurs
(politiques, sociales, sexuelles, culturelles), rejetant tout ce qui
rappelle le "système", et donc les chanteurs du "système"
(exception faite de Ferré).
Ami de Michel Lancelot,
personnage central (et méconnu lui aussi) de cette période - son
indispensable émission quotidienne et nocturne sur Europe 1 -
"Campus" - guidait et ouvrait sens et conscience -, Michel
Corringe véhiculait aussi, même s'il était trop jeune pour en
avoir été, les valeurs de la beat generation américaine, la
liberté, l'indépendance, la route... cette route ("l'autoroute
européenne No4" que chantait Antoine dès 66) qui nous tendait
ses bras. Corringe, comme François Béranger, c'était un peu
"nous", le frère, le complice, le modèle.
Mais ce cahier des charges-là ne
suffirait pas à justifier l'amour inconditionnel que nous lui
portions. Car Il faut aussi des chansons, et savoir les chanter ! Et
Corringe avait ce double talent.
"La route", paru
en 1974 sur le minuscule label PDG (sic!) ne connait aucune
faiblesse. Toutes les chansons, qu'il pousse de son incroyable voix
de rocaille, "La route", "Me reposer", "Les
Saintes Maries" (à faire écouter d'urgence à Hortefeux et
Besson), "Tête vide", "Le petit gars",
"La tête en vrille", "Platon" ("avec Platon moi je répète : chacun sa fête")... toutes sont mélodiquement
imparables, entrant en mémoire pour ne jamais en ressortir. Arrangées avec basse et batterie (parfois cordes) mais sonnant acoustiques, elles possèdent chacune leur petite trouvaille, simple mais bien pensée, efficace. Et si la production
est parfois spartiate, qu'importe, l'essentiel n'est pas là.
Ses concerts
étaient parfois à l'emporte-pièces, les salles n'étant pas
toujours faites pour ça (le foyer de la Résidence Berlioz sur le
campus de Grenoble où sur un simple coup de téléphone il venait
!!), parfois seul (mais avec son chien), parfois avec un pote
bassiste, ou batteur. La
chanson "Les paumés" - un des sommets du disque et quasi
hymne dans "Campus" en 1973 - avait été écrite en 1968,
lorsque Corringe était un protégé du chanteur Danyel Gérard
(petite carrière au temps des yéyés). Elle fut bien entendu mise
au programme de cet album, son premier.
Textes dérangeants (et pourtant,
sonnant bien inoffensifs aujourd'hui) et mépris pour le monde du
show business eurent un effet prévisible : l'album ne marcha pas
bien, jamais programmé en radio et seulement acheté par les
auditeurs de Campus, autrement dit la marge, minoritaire. En 1978,
soutenu par Jean-Claude Vannier, il obtint cependant un contrat chez
RCA pour trois albums (dont un live enregistré chez lui à Saint-Étienne) restés confidentiels (si on nous lit chez
BMG, il est peut-être temps de fouiller dans les malles). Un retour
en 1998 ("Phénix" - Label Pluriel) ne lui permettra pas non plus de
renaître.
Miné, moralement et par la maladie, après des
petits métiers de plus en plus précaires (décorateur intermittent
à FR3 Marseille pour le dernier), Michel Corringe décida de tirer
son trait final en 2001.
On ne peut que louer le label Magic,
alors que les bandes originales étaient censées avoir été
détruites par Corringe, de le rééditer. Voilà qui va soulager
notre vinyle d'époque, qui jamais ne cessa de tourner,
régulièrement, pieusement.