La route

Michel Corringe

par Francois Branchon le 16/09/2010

Note: 10.0    
Morceaux qui Tuent
Les paumés
La route
Me reposer
Les Saintes Maries
Le petit gars
Platon

spiraleAcheter


Michel Corringe est mort en 2001, en octobre, à Lorette dans la Loire. C'est un euphémisme de dire que ce fut dans une discrétion totale, tant les Libération, Inrockuptibles ou autre Telerama, nos dépositaires attitrés de la meilleure façon de lire, de voir et de penser passèrent sa mort sous un silence assourdissant.

Rancoeur...

Retour sur une époque, les années soixante-dix, que le bouquin de Claude Arnaud célèbre justement en cette rentrée ("Qu'as-tu fait de tes frères" - Grasset). En 1973, Corringe, 27 ans, est un peu, dans le domaine de la chanson française, le héros de la minorité la plus agissante de sa génération, celle qui revendique de mettre en pratique les slogans de 68, esquissant son réseau de contre-valeurs (politiques, sociales, sexuelles, culturelles), rejetant tout ce qui rappelle le "système", et donc les chanteurs du "système" (exception faite de Ferré).

Ami de Michel Lancelot, personnage central (et méconnu lui aussi) de cette période - son indispensable émission quotidienne et nocturne sur Europe 1 - "Campus" - guidait et ouvrait sens et conscience -, Michel Corringe véhiculait aussi, même s'il était trop jeune pour en avoir été, les valeurs de la beat generation américaine, la liberté, l'indépendance, la route... cette route ("l'autoroute européenne No4" que chantait Antoine dès 66) qui nous tendait ses bras. Corringe, comme François Béranger, c'était un peu "nous", le frère, le complice, le modèle.

Mais ce cahier des charges-là ne suffirait pas à justifier l'amour inconditionnel que nous lui portions. Car Il faut aussi des chansons, et savoir les chanter ! Et Corringe avait ce double talent.

"La route", paru en 1974 sur le minuscule label PDG (sic!) ne connait aucune faiblesse. Toutes les chansons, qu'il pousse de son incroyable voix de rocaille, "La route", "Me reposer", "Les Saintes Maries" (à faire écouter d'urgence à Hortefeux et Besson), "Tête vide", "Le petit gars", "La tête en vrille", "Platon" ("avec Platon moi je répète : chacun sa fête")... toutes sont mélodiquement imparables, entrant en mémoire pour ne jamais en ressortir. Arrangées avec basse et batterie (parfois cordes) mais sonnant acoustiques, elles possèdent chacune leur petite trouvaille, simple mais bien pensée, efficace. Et si la production est parfois spartiate, qu'importe, l'essentiel n'est pas là.

Ses concerts étaient parfois à l'emporte-pièces, les salles n'étant pas toujours faites pour ça (le foyer de la Résidence Berlioz sur le campus de Grenoble où sur un simple coup de téléphone il venait !!), parfois seul (mais avec son chien), parfois avec un pote bassiste, ou batteur.
La chanson "Les paumés" - un des sommets du disque et quasi hymne dans "Campus" en 1973 - avait été écrite en 1968, lorsque Corringe était un protégé du chanteur Danyel Gérard (petite carrière au temps des yéyés). Elle fut bien entendu mise au programme de cet album, son premier.

Textes dérangeants (et pourtant, sonnant bien inoffensifs aujourd'hui) et mépris pour le monde du show business eurent un effet prévisible : l'album ne marcha pas bien, jamais programmé en radio et seulement acheté par les auditeurs de Campus, autrement dit la marge, minoritaire.
En 1978, soutenu par Jean-Claude Vannier, il obtint cependant un contrat chez RCA pour trois albums (dont un live enregistré chez lui à Saint-Étienne) restés confidentiels (si on nous lit chez BMG, il est peut-être temps de fouiller dans les malles).
Un retour en 1998 ("Phénix" - Label Pluriel) ne lui permettra pas non plus de renaître.

Miné, moralement et par la maladie, après des petits métiers de plus en plus précaires (décorateur intermittent à FR3 Marseille pour le dernier), Michel Corringe décida de tirer son trait final en 2001.

On ne peut que louer le label Magic, alors que les bandes originales étaient censées avoir été détruites par Corringe, de le rééditer. Voilà qui va soulager notre vinyle d'époque, qui jamais ne cessa de tourner, régulièrement, pieusement.


MICHEL CORRINGE Tête vide (Son seul)



MICHEL CORRINGE Les paumés (montage)



MICHEL CORRINGE Les Saintes-Maries (Son seul)



MICHEL CORRINGE Me reposer (Son seul)



MICHEL CORRINGE Platon (Son seul)