Canto

Misia

par Filipe Francisco Carreira le 18/03/2004

Note: 8.0    
Morceaux qui Tuent
Tia minha gentil
Horas de breu
Valsa das sombras


Déjà septième album pour Misia et son fado atypique. Née à Porto d'un père portugais et d'une mère catalane, elle passe par Madrid et Barcelone avant de s'installer à Lisbonne et de proposer une vision personnelle du fado où piano et violons s'associent bientôt aux traditionnelles guitares portugaises à douze cordes. Son premier album sort en 1991 : à l'époque, le genre est tombé en disgrâce, aussi Misia ne fait pas seulement figure d'ovni dans le monde du fado mais d'ovni tout court. Finalement l'apparition d'une nouvelle classe de "fadistas" (Cristina Branco, Katia Guerreiro et Mariza) redistribue les cartes et fait d'elle une référence. Depuis le début, Misia ne fait que suivre son instinct et c'est encore son instinct qui la pousse en 2003 à adapter les thèmes composés par Carlos Paredes, l'homme qui a révolutionné la guitare portugaise et traumatisé plusieurs générations de musiciens nationaux. Ceux-ci se sont donnés rendez-vous en juin dernier sur la compilation "Movimentos perpétuos" afin de rendre hommage à un artiste majeur qu'une maladie prive de son instrument depuis maintenant dix ans.

Si Misia participe au projet, elle ne s'en contente guère et fait appel aux paroliers Vasco Graça Moura et Sergio Godinho, à l'arrangeur Henri Agnel, spécialiste de l'œuvre de Paredes, et au quintette de la Camerata de Bourgogne pour enregistrer ce vibrant "Canto". La troublante intimité qui se révèle invite au recueillement plus qu'elle ne l'impose - "Sem saber" - et si l'univers de Misia paraît sombre, il se montre également ouvert : dans "Pressagios de Alfama", guitares et violons se lancent dans un dialogue qui n'a rien de stérile ou d'hermétique. La porte et la fenêtre restent ouvertes aux courants d'air, aux curieux venus apprécier ce jeu de questions-réponses, cette émulation - provocation ? - entre éléments rivaux et jaloux. Sans oublier la voix : sobre mais déterminée, elle évite élégamment les clichés de la démonstration de force et de la surenchère technique. Elle se laisse du temps et de l'espace pour monter plus spontanément - "Valsa das sombras" - sans faire dans la modération ou les calculs mesquins : elle file la chair de poule dans "Lamento das rosas bravas" où, portée par des arrangements tourbillonnants, elle atteint des sommets embrumés. Autre titre marquant, "Tia minha gentil" débute comme le vilain canard avant de s'emballer pour finalement laisser bouche bée : mieux vaut ne pas être surpris à ce moment-là et encore moins avouer qu'on se sent un peu comme Rocky après son combat avec Apollo Creed, à la fois groggy et heureux.

Jusqu'à son épilogue somptueux (l'instrumental "Balada de Coimbra"), "Canto" continue d'être balayé de moments forts ("Horas de breu", "Tim tim por tim tim") et n'a de cesse de confronter sa poésie et son mystère à un genre populaire, flirtant dangereusement - et donc courageusement - avec les limites de l'impopularité.