Flench wok

Muvien, Humair, Jeanneau & Viret

par Sophie Chambon le 07/03/2005

Note: 9.0    

Après le succulent "soufflé aux éclisses" qui réunissait Jean Louis Cappozzo et Claude Tchamitchian, la cuisine et le jazz continuent leur sainte alliance. Quatre interprètes talentueux saisis à vif avec leurs ingrédients, accommodés avec aplomb et prestance, en un tournemain, tel est le menu de ce "Flench wok".

Une musique chatoyante à la belle unité sur des compositions que se partagent les quatre chefs : conversations ouvertes, éloquentes, révélant un intérêt pour les musiques du monde et une attirance irrésistible pour le jazz. Un groupe pas tout à fait carré et pourtant tiré au cordeau, avec juste ce qu’il faut de lignes brisées, de zigzags pour ne pas laisser indifférent. Les titres s’enchaînent sans la moindre facilité, suite de courses-poursuites où certains riffs, comme celui persifleur et leste qui larde "Palindrome", reviennent vriller les nerfs, car ces quatre-là ne supporteraient pas de tourner à vide. C’est après plusieurs écoutes que s’impose une musique aboutie, hypnotique dans ses brusques envolées et accélérations, construite avec un sens aigu des climats, une intuition jouée et déjouée de la musique. Daniel Humair à l’aise aux baguettes, aux fourneaux ou aux pinceaux est l’acteur-auteur idéal de cette symphonie culinaire. Légende vivante de la batterie, il sait reconnaître les talents et s’entoure d’anciens élèves devenus amis.

Après "Baby boom", c’est au tour du guitariste varois Jean Philippe Muvien de proposer son projet. Le guitariste est précis et incontrôlable, d’une vivacité intenable, épaulé par le sorcier des tambours : dès la mise en bouche roborative du premier titre éponyme, révélateur des jeux de mots qu’affectionne Humair, avec un son généreux dans son titre fétiche “Vive les Jongleurs”, dans “toi moi lui” ou le final frémissant en trio sur “Westminster”, où cordes et peaux sont frottées à vive allure. Jean Philippe Viret, consacré en trio sur les albums du défunt label Sketch donne une composition "Mon Petit lapin", un original où après une ritournelle inquiétante à l’archet, suit un dialogue entre guitare et contrebasse, auquel se surimpose la voix acide du soprano de François Jeanneau. C’est d’ailleurs lui, l’indispensable qui ramène souvent sur le versant jazz, avec toute la marge que lui réserve son (ancien) statut de professeur.
Une musique de coloristes gourmands, une fluidité volontairement contrariée, un ensemble qui ne se veut surtout pas lisse ou linéaire. On aimait inconditionnellement les grandes figures des pères fondateurs Daniel Humair et Jean François Jeanneau, on estimait Jean Philippe Viret, musicien jusqu’au bout de l’archet, on vient de découvrir un plus-que-doué Jean Philippe Muvien à la guitare cristalline, alerte, agile… Un disque de bonne humeur contemporaine, un ensemble représentatif d’une musique hexagonale qui fonctionne à merveille, aux influences perceptibles et en même temps distanciées, naviguant entre le jazz et le rock progressif digne du King Crimson de la meilleure époque.