On comprend pourquoi Nina Simone a marqué les esprits dès le départ. Pianiste-chanteuse d'un night club de Philadelphiecomme il en existait des milliers dans les années cinquante à travers les Usa, Nina, derrière son clavier et son micro installe son atmosphère, éteint les conversations, inonde l'espace de son feeling... et les balaie toutes, qu'elles soient du passé, du présent et celles à venir, toutes les Diana Krall transparentes et bien coiffées dégluties par l'industrie, toutes les interchangeables et les annuelles jetables. Et tout ça à seulement vingt-quatre ans !
Nina est remarquée par le label Bethleem, qui lui produit en 1957 l'enregistrement de ce premier album. Elle impose sa marque : son sens aigu du tempo, son phrasé, son blues, son feeling, et même ses erreurs et approximations qui font vie. Mais surtout sa voix, capable, à l'instar de son modèle révéré Ella Fitzgerald, de tout chanter, de tout faire avec ses cordes vocales. Accompagnée de deux musiciens précis et discrètement swingants (Albert "Tootie" Heath batterie et Jimmy Bond contrebasse), la Simone sert quelques morceaux phares du moment (et futurs classiques) : un impeccable "Moon indigo" de Duke Ellington, les touchants "My baby just cares for me" et "I love you Porgy" de Gershwin, le blues minimaliste et aventureux à la fois "Good bait" de Count Basie qu'elle aborde en prenant le temps d'une longue intro pour nous tourner autour et nous emporter ensuite, en improvisatrice hors-pair. Et puis, modernité confondante pour un disque de "jazz", la reprise de "Plain gold ring" de Jack Hammer (enregistré une première fois en 1956 par Kitty White) dont elle livre une version sombre et obsessionnelle, une complainte quasi désespérée. Impressionnante.
"Little girl blue" est le premier album de Nina Simone, une cinquantaine d'autres suivront, et une vie d'activiste pour les droits civiques en plus. Respect.