Des visages des figures

Noir Désir

par Olivier Santraine le 02/10/2001

Note: 9.0    
Morceaux qui Tuent
L'appartement
Des armes
Bouquet de nerfs


Noir Désir a mué. Après quinze ans de groupe, de cordes vocales sur la brèche pour Bertrand Cantat (concerts avec Yann Tiersen et presque toutes les tournées d'Akosh S.), d'incartades diverses (album solo de Serge Teyssot-Gay le guitariste), "Des visages des figures" est une métamorphose. Plus question de faire vibrer les kids avec de l'anarchisme désinvolte, place aux paroles sensibles et à l'expérimental. Plus destiné au lecteur du "Monde Diplomatique" qu'à celui de "Charlie Hebdo" (là c'est osé. NDLR). Pourtant, pourtant, jamais aura-t-on autant entendu Noir Désir sur les radios commerciales ("Le vent nous portera"), pourtant "Des armes" est une reprise de Léo Ferré, pourtant, on entend la guitare en plastique de Manu Chao sur ("Le vent nous portera" - ou comment gâcher un morceau). Mais Noir Désir sait détruire ce qui semble acquis pour accéder à une phase supérieure. Par exemple, sur le sus nommé "Des armes", la musique de fond est de l'électro expérimentale qui couvre doucement les paroles poétiques. C'est sûrement ce qu'aurait donné "La mort d'Orion" si Gérard Manset l'avait écrite en 2001. De même sur "L'enfant roi", où Cantat chuchote sereinement sur des rythmes répétitifs et d'avant-garde ; pour un morceau d'ouverture la surprise est totale. La structure globale des chansons est d'ailleurs très osée, commençant par un son étrange sur lequel poussent des mélodies qui se bouclent sur elles-mêmes. Plus de couplet ou de refrain. Pour les textes, à part quelques obsessions fidèles ('Vivendi', 'No pasaran', 'Sacem', 'Capiteux capitalistes'...), la poésie vient de la beauté de mots ou de sons posés les uns à côté des autres, dans un équilibre fragile, comme une chaîne de dominos avant la chute, toujours avant la chute. Pour la colère brute, celle présente sur le précédent "666.667 club", n'écoutez que "Le grand incendie" ou "Son style 1", sans vraiment d'intérêt. Pour l'énergie intérieure, pour la violence immobile, pour la poésie au service de la révolution, écoutez tout l'album, dont les magnifiques "Des visages des figures", "Bouquet de nerfs" ou les 24 minutes (!) de "L'Europe", en compagnie de Brigitte Fontaine qui trouve là un miroir de ses grands morceaux épiques avec l'Art Ensemble Of Chicago. Grand prix du jury pour "L'appartement", qui contient tout ce qui est décrit ici, les avancées et les incartades d'un groupe qui a définitivement mis le feu à ses oeillères et a craché dessus.