Road movie en béquilles

Nonstop

par Emmanuel Durocher le 25/01/2006

Note: 8.0    
Morceaux qui Tuent
Le fils du soldat inconnu
Toujours du vent sur les ponts


"De savoir que la France est une mongolienne, ça me gêne !", encore une déclaration qui plaira aux députés UMP en risquant de replonger le pays dans le chaos, pourtant, on se trouve très loin des standards du rap hexagonal. Frédo Roman alias Nonstop s'est entouré d'anciens membres de Diabologum (Arnaud Michniak à la production, Den's Giovanni à la batterie et son frère Richard Roman à la basse), groupe ayant passablement bousculé la scène française des années 90. Avec "Road movie en béquilles", c'est un méchant tacle qui se produit dans le paysage du hip hop actuel, plus incisif et tourmenté que Stupeflip, TTC et consorts.

A la croisée de plusieurs influences ; le chanteur distille un hip hop mélodique ponctué de beats cliniques et de samples sombres (proche de celui d'Abstract Keal Agram ou Psyckic Lyrikah) fortement relevé de touches électroniques ("Toujours du vent sur les ponts"), rock ("la main froide") ou d'ambiances filmiques (logique pour un road movie, il n'y a qu'a écouter le très morriconien "Le cœur dans le dos" ou "Le fils du soldat inconnu" qui rappelle les débuts de Diabologum), une démarche de l'urgence quasi punk et le tout rehaussé par un accent toulousain digne d'un troubadour fabuleux.

"Moi j'aime bien le silence, c'est le silence qui ne m'aime pas", plutôt réservé et taciturne au naturel, Frédo Roman s'exprime dans ses textes sans laisser à l'auditeur le temps de souffler une seconde, les boucles sonores se répètent mais les paroles sont débitées à la chaîne entre puzzle mental, poème surréaliste et collage dadaïste, il renvoie son mal de vivre en pleine tronche : les maux de "je" sont illustrés par des jeux de mots et l'inscrivent dans la lignée directe de Bashung. On traverse médusé une France mal dans sa peau (et pas que celle des banlieues) : sombre, parano, suicidaire… les qualificatifs foisonnent, l'ensemble n'est pas vraiment gai mais reflète la situation de manière (sur)réaliste.

"Quand je dors, je ronfle pas, je grince des dents", l'album s'écoute comme ça, comme une fourchette qui dérape sur l'assiette : on est sur les nerfs, usé, essoufflé… Difficile de tout assimiler d'un seul jet, c'est un des reproches à lui faire. Mais finalement, quelqu'un qui déclare qu'il est "poursuivi par Michel Constantin en androïde fou" est, certes, dérangé mais pas foncièrement mauvais.