Kid A

Radiohead

par Christian Tranchier le 26/11/2000

Note: 9.0    
Morceaux qui Tuent
How to disappear completely
Idioteque


Kid A occupe la case des oeuvres à polémique, entre au choix, foutage de gueule brillant, pied de nez génial, exercice de style vain ou joli génie. Le successeur de "Ok computer" le fameux, dont les louanges dithyrambiques et unanimes consacrèrent Radiohead sauveur du rock, affronte une lourde pression, qui en toute logique n'offrait qu'une seule alternative : un "Ok computer 2" (dont beaucoup se seraient contentés, à commencer par les services marketing de sa boîte) ou un virage à 360 degrés, une remise en cause novatrice. Quelques secondes suffisent pour saisir le choix de Thom Yorke. L'ironiquement nommé "Everything in its right place", en ouverture, annonce la couleur : "Kid A" est électronique. La voix constamment filtrée de Yorke laisse interdit, choque même, allant jusqu'à la désincarnation, au son robotique et méconnaissable ("Kid A"). Sommes-nous chez Brian Eno, Kraftwerk, Aphex Twin ? Effet gratuit ou réelle utilité ? Par magie, l'émotion n'en pâtit pas autant que prévu. Les guitares sont bien reléguées à la figuration, seul "Optimistic" joue le rescapé de la vie d'avant. Mais "Kid A" a des charmes et des subtilités, qu'il dévoile au bout d'une conquête âpre et persévérante, qui laissera en route les amateurs de pop facile. Mais, amoureux de "Pablo honey" et de "The bends" persévérez, car une belle récompense vous guette au bout du tunnel ! S'agit-il encore de pop ? oui, entendra-t-on dans un murmure, mais l'album est d'une abstraction continue et opaque lors des premières écoutes et, pour dérouter davantage, recèle des compositions d'un format inconnu des radios Fm. On ne sait où elles se dirigent, mais on les suit avec fascination, avides de découverte et d'aventures inattendues. Ce n'est plus de la musique au sens classique, le groupe sort du cadre. Perplexité et interrogations sont encore accentuées par des paroles imperméables à toute compréhension rationnelle, au contenu trivial ou incongru ("Yesterday i woke up sucking a lemon"), apocalyptique dans le up tempo aux beats marqués "Idiotheque", aux phrases psalmodiées par un Thom Yorke paranoïaque ("Who's in bunker, who's in bunker ? women and children first, women and children first") ou confinées à une douce rêverie éveillée, une promenade irréelle lorsqu'il susurre le merveilleux "How to disappear completely", d'une voix d'ange aérienne, baignée par une brise de cordes (un des rares titres où on peut se bercer de son timbre unique, sans triturage électronique). Cordes, cuivres, computers, sont les nouveaux composants de l'univers Radiohead. Les huit cuivres qui bouclent dans une cacophonie assourdissante, crescendo et minutieusement désordonnée "The national anthem" et les computers présents dans le moindre arrangement de la production de Nigel Godrich, où rien n'est laissé au hasard, réfléchi, léché et classieux, retravaillant visiblement les chansons jusqu'à l'obsession. Avec "Motion picture soundtrack", la voix mal articulée et torturée de Yorke, posée sur un orgue d'église majestueux, illuminée par une harpe, clôt en beauté un voyage épique et mémorable, une expérience inédite et des plus exaltantes.