Retriever

Ron Sexsmith

par Jérôme Florio le 09/09/2004

Note: 10.0    
Morceaux qui Tuent
I know it well
Dandelion wine
Wishing well
From now on


Avril 2004 : Ron Sexsmith sort un septième disque magnifique, complètement noyé dans le flot habituel des sorties inutiles. En découvrant "Retriever", on se demande qui d'autre aujourd'hui écrit d'aussi bonnes chansons - sûrement pas grand-monde, et encore moins depuis qu'Elliott Smith a fait hara-kiri. Rétablissons les hiérachies : cependant que des Madonnazes ou des Britniaises s'achètent une crédibilité tout en rackettant les masses, Sexsmith, le pauvre fou, poursuit un but bien risible en comparaison : faire l'amour à ses Muses et chavirer les cœurs.

C'est bien de générosité dont il s'agit ici : l'inspiration est intime mais la musique respire, chaleureuse et accueillante, ouverte vers l'extérieur. Sans jamais déroger à la règle d'or couplet-refrain, Ron Sexsmith enrobe son folk moelleux d'atours soyeux, charnels, aux formes généreuses. Fans de Morrissey agacés par ses manies de vieux garçon, vous êtes ici chez vous. Déraisonnablement romantique, vautré dans les cordes satinées d'"I know it well", il croone de sa voix de miel une mélodie qui grimpe sur les cimes des plus belles montagnes pop, comme "God only knows" des Beach Boys – il faut oser, de nos jours. Ne craignons pas de mesurer Sexsmith à d'illustres aînés : le picking de "Dandelion wine" est fait du même bois noble qu'un Neil Young, monte en puissance en déployant des cordes altières. Qui se réclamant "songwriter" ne rêve pas d'écrire au moins une chanson comme celle-là ?

On comprend pourquoi Elvis Costello ou Paul McCartney ont salué le talent du canadien : au-delà de la ressemblance vocale maintes fois relevée, l'évidente "For the driver" se hisse au niveau des plus belles réussites acoustiques du Macca des Beatles ("Bluebird" par exemple). Pleine d'amour de son prochain et de compassion, des qualités qui virent à la limite de la guimauve sur "Tomorrow in her eyes" – sur la même corde raide que "Hey Jude" ? "Retriever" flirte avec une facture néo-"middle-of-the-road", tous les instruments traités à égalité : de la juxtaposition plutôt que des véritables parti-pris de production (on distingue bien sur "Dandelion wine" ou "Tomorrow in her eyes" les overdubs sur la piste guitare-voix ou piano-voix initiale). Logique alors que le disque soit meilleur en son centre que sur ses bas-côtés, "Not about to lose" ou "Imaginary friends" étant un peu trop normalisés, faisant ressortir par contraste la qualité de l'écriture et de l'interprétation..

Le feeling est solaire ("Happiness"), cool et classe, avec dans les yeux des scintillements d'une boule à facettes qui tourne au ralenti : les colorations soul de "Whatever it takes" partagent beaucoup avec le très attachant (et également passé à l'as) "1972" de Josh Rouse paru l'an passé. Ce clin d'œil aux années 70 n'est pas fortuit, "From now on" dégageant un fort parfum d'americana avec ces chœurs typés Eagles ou Jackson Browne, dorés au plus chaud soleil californien.

"Not about to lose this feeling that i've found" : que dure l'état de grâce, on l'espère pour lui, et surtout bien égoïstement pour nous. "Let's call it happiness".