A continual search for origins

Rothko

par Jérôme Florio le 30/01/2003

Note: 9.0    

Selon certains scientifiques, les progrès foudroyants en matière d'intelligence artificielle permettent d'envisager la création de nouvelles formes de vie qui se développeront de manière autonome, sans l'intervention de l'homme. "A continual search for origins" apparaîtra peut-être dans un futur proche comme l'ancêtre des disques composés par intelligence artificielle. Rothko invite a un voyage immobile et contemplatif, construit un édifice sonore dont les fondations reposent sur une basse qui imprime une sourde pulsation rythmique, enveloppée par l'intervention parcimonieuse de synthétiseurs et de notes de guitare pures comme de l'eau de source, d'une flûte ou d'une trompette perdue dans la brume. A bien y regarder, ce bâtiment ressemble fort à une église : ici le silence s'impose, la dimension spirituelle, l'élévation sont au prix d'une immersion en apnée dans chaque morceau. On ne serait pas étonné de retrouver sur les bancs des personnes comme Robert Wyatt ou Ben Watt (réunis au début des années 80 sur "Summer into winter"). L'album de Rothko se ramifie organiquement, s'étend dans toutes les directions comme une onde à la surface d'un lac, à partir d'un algorithme dont eux seuls ont le secret. Il n'obéit qu'à sa propre horloge biologique : le Grand Horloger est là qui agence méticuleusement chaque son, chaque note, pour qu'ils emplissent parfaitement l'espace sans se marcher sur les pieds. Tout corps, végétal ou minéral, est un agglomérat d'atomes, et chacun a sa vibration qui lui est propre. Ce disque pourrait être le son d'un lac, ou d'une pierre. Mais c'est une nature virtuelle, recréée à coups de samples, retouchée à la palette graphique, où l'herbe est trop verte, l'eau trop bleue. Une nature opaque et mystérieuse, où l'humain est absent : la voix éthérée de Caroline Ross sur le premier titre "On the day we said goodbye", chanté dans l'obscurité, s'efface peu à peu et perd son enveloppe charnelle, pour échapper à la tyrannie de la pesanteur. C'est dans un rêve éveillé que l'on se voit survoler ces paysages sonores ("soundscapes" comme dirait Brian Eno), en harmonie avec ces instrumentaux à la structure diaphane. Il faut attendre "Crossing to Gandria" pour que quelque chose se réveille, qu'une forme primitive, ancestrale, se dessine sous la surface du lac gelé ; la batterie pointe le bout de son nez le temps d'un court dérèglement climatique qui laisse entrevoir une menace, une nature omniprésente et écrasante. En guise de terminus, "Words melt away" est un ballet gracieux qui cache, comme pour l'organisme en apparence le plus simple, une infinie complexité. Le morceau nous perd ensuite dans un dédale sensoriel, d'où émerge finalement la voix de Caroline Ross, enfin incarnée, dans ce qui ressemble à un chant traditionnel irlandais. On se sent moins seul. Ouf, il s'en est fallu de peu que l'humain n'aie le dernier mot.