Empires and dance

Simple Minds

par Francois Branchon le 16/06/2003

Note: 10.0    
Morceaux qui Tuent
Today i died again
Celebrate
This fear of Gods
Thirty frames a second


Le spectaculaire succès de Simple Minds aux Usa en 1985 (muté en virus mortel) et les concerts de stade qui ont suivi ne doivent pas occulter leur vie antérieure notoirement plus intéressante, quand artisans de la “new wave” (ils sont nés à la fin 1977), ces cinq écossais anciens routards fans du Velvet, d'Hendrix et des Doors, pouvaient très justement enfiler le kilt de Talking Heads européens.
Démarrant en 1978 sur les brisées du punk (album “Life in a day”, immédiatement suivi de “Real to real cacophony”, considéré par Arista comme le disque le plus anti-commercial jamais distribué par le label), Simple Minds tourne beaucoup en Europe, un continent alors traversé de gros soubresauts de guerre froide, avec une Grande-Bretagne saignée à blanc par la fée Thatcher. Autant d’influences directes pour l’auteur ultra-sensible Jim Kerr, et lisibles dans l’intensité de sa musique, pleine de craintes, déroulée au long de ce troisième album, “Empires and dance”, disque presque hanté qui parait en 1980 et reste à ce jour comme leur meilleur.
Peter Gabriel, au sommet de sa gloire cette année-là, les emmène dans une tournée européenne qui passera en France par Grenoble, Lyon et l’Olympia à Paris. Mini triomphe. Faut dire que Simple Minds arrive alors à maturité, “vrai” groupe composé de Jim Kerr (chant et paroles), de son compagnon des années adolescentes d’auto-stop Charlie Burchill (guitares et saxophone), de la rythmique Derek Forbes (basse) et Brian McGee (batterie/percussion) et du discret Mike McNeil (claviers).

Comme tout chef-d'oeuvre, “Empires and dance” échappe à l’épreuve du temps, la pulsion rythmique de sa musique - entre volcan impatient et sables très mouvants - la force du chant de Jim Kerr, messager possédé, rendent anecdotique le son un peu daté de la production. Le disque était puissant, il le reste. En marge de sa force, il est aussi expérimental, mariant l’électronique aux riffs, de la drum’n’bass avant l’heure. Sans être un concept album, “Empires and dance” s’écoute dans l’ordre, s’enchaîne, chaque morceau comme un monde en soi qu’un Kerr inquiet, en proie au doute (devant le “risque” de succès entre autres) relie d’une voix messianique bien loin du ton de confidence qu’on lui connaîtra plus tard.
“I travel” (premier single tiré) ouvre le bal des craintes, énergique et rampant, il fait copuler disco ridée et new wave turgescente à grands coups de nappes de claviers, de percussions, de riffs de guitares et de basse. Kerr y semble mort de faim. “Today i died again”, qui la suit pourrait passer en boucle pendant des heures, ses claviers arabisants et sa ligne de basse répétitive et caressante comme un chat poussent à l’hypnose (tiens ç’est donc ça !). Avec des paroles prémonitoires et pleines de désillusion sur une Amérique conquérante et mal élevée (on est en 1980, sous Reagan, et déjà frémissent les velléités de reconquête de “l’Empire”). “Celebrate”, calée sur une belle ligne de basse tournant autour de claquements de mains, est une transition très pop et accessible vers “This fear of Gods”, long développement introspectif (7 minutes) de sons dérangeants et denses, et au plus ils s’enfoncent dans le crâne, au plus ils dispensent de... la joie. Délibérément électronique (feedback, vagues de synthés, rythmes drum’n’bass), “This fear of Gods” est un morceau d’album qui vaut bien des maxis remix. Le chant de Jim Kerr a juste ce qu’il faut de discordance pour être mimétique à l’intrumentation, passant du funèbre à la plainte, et ces mots au symbolisme toujours aussi désespéré (“Hear a voice and see no angel, Violence and vivisection, Violence and vivisection, Lust…lust…lust, Violence and vivisection, Gods…Gods…This fear of Gods”). “Capital city”, basse ronde se délitant dans un groove au tempo lent, “Constantinople line”, batterie/basse/synthés un peu rigides et syncopés et paroles échos d’un pays bizarre où Kerr se sent chez lui (“I see a land as we crawl by night, I see a face in the window in front, The east is calling, I'm feeling nervous, I love the western style and change.”) amènent à Twist/run/repulsion : une joyeuse mêlée de samples (dont la voix d’une française) accrochée à une basse fonçant tête la première dans les cuivres. Les paroles (le dégoût, la peur et la claustrophobie) presque psalmodiées par Kerr. "Thirty frames a second" pourrait être qualifiée de “disco mutante”, oeuvre du couple Forbes (basse acérée) / McNeil (claviers pulsants). Ils accueillent un texte parano-schizo de première bourre, l’histoire d’un type voyant au cinéma défiler à l’envers (“30 images/seconde”) sa propre vie en parallèle au film qu’il regarde (“At thirty frames a second, say who you are, Go back to father, father where's my food?, Your food’s on the table, But this can't be food, it's dirt.”). Remuant. "Kant-kino" est un instrumental donnant un dernier coup d’énergie (effets, clavier puissant, belle guitare rythmique) avant le final “Room”, construit sur la basse et le synthé, ponctué de percussions et d’une guitare lointaine, écho parfait à l’isolation que renvoie le texte (“City red, city red, Wear the mask, wear the mask, A private hell, a secret sin, a friend of mine, Waiting for a western man, Waiting for new kind of glory, A view of glory from this room”).

Quand sort “Empires and dance”, Simple Minds est populaire, mais pas encore au-delà de sa cible (ce fameux cross-over qui se produira en 85), un cap qui taraudait Jim Kerr. “Empires and dance” n’a donc pas été leur jackpot, il n’a pas malgré sa force émotionnelle touché les masses. Il reste le meilleur album de toute leur carrière, tout à la fois puissant, expérimental, envoûtant, frappant au cœur et fascinant par les styles musicaux qui s’y croisent. Les textes reflètent un monde déjà inquiétant d’empires qui s’écroulent, de clashes culturels et de crises d’identité, mais, par leur classe, ces Écossais attachants ont su le dire en continuant de faire danser. Chapeau !