Skip Bifferty

Skip Bifferty

par Damien Berdot le 29/03/2010

Note: 10.0     
Morceaux qui Tuent
Come around
Time track
Inside the secret
Orange lace
Follow the path to the stars

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L'unique album de Skip Bifferty, que Cherry Red nous livre dans une réédition soignée augmentée de 9 bonus tracks, est incontestablement un des trésors cachés de l'époque du Swinging London. D'autres groupes psychédéliques ne donnèrent que des éclats ; mais Skip Bifferty brille constamment, par la grâce d'un songwriting qui n'est pas sacrifié aux effets incongrus. Comment donc s'expliquer l'insuccès tenace dont le groupe fut victime ? Par la malchance, le manque de soutien de RCA, la détérioration des relations avec le controversé manager Don Arden...
 
Formé autour du claviériste Mick Gallagher sur les décombres de The Chosen Few, un groupe de la scène de Newcastle, Skip Bifferty entama sa carrière londonienne par des prestations enflammées au Marquee qui le firent repérer de Don Arden. Ce dernier leur promit : "Dans 9 mois, vous serez aussi énormes que les Stones". Premier single, inclus comme les deux autres dans ce qui peut à bon droit être appelé anthologie : "On love" (1967). Le son est celui du rock lourd (cf le riff au son caractéristique de Gibson Les Paul, joué par John Turnbull), mais on est frappé par la coda, où une cacophonie éclate par-dessus une pédale de basse. La face B, "Cover girl", avec son refrain dément, chanté en voix de fausset, est encore plus saisissante. Pour le deuxième single, Skip Bifferty subit manifestement l'influence de Don Arden : la ballade "Happy land" est beaucoup trop chargée ; on retient juste le début de "Reason to believe", d'une délicatesse à la Duncan Browne.
 
Skip Bifferty s'attaqua ensuite à son magnum opus, son album homonyme, parfaite synthèse de tendances rock et pop psychédélique. Produit magnifiquement par Vic Smith, il ajoutait à sa palette un nuage (toujours contrôlé) d'effets - du phasing aux bandes inversées. A l'écoute, la voix noire de Graham Bell et le son puissant font penser aux Small Faces (autre groupe de la maison RCA) ; les brisures de rythmes feraient penser à une dérive vers le progressif si elles n'étaient pas aussi constructives - à la manière de Tomorrow. Autre spécificité du psychédélisme anglais (partagée notamment avec le premier Pink Floyd) : le goût pour le nonsense et les rythmes de comptine. C'est ainsi que "Money man", le très "whoesque" morceau d'ouverture, s'interrompt pour laisser place à une ritournelle étrange accompagnée de clavecin électrique. "Guru" est aussi barré que son titre le laisse supposer : composé exclusivement de voix et de percussions, il réussit l'exploit d'accrocher son auditeur ! On lui préférera cependant "Inside the secret", magnifique chanson de pop pervertie par des bends de guitare, "Jeremy Carabine", un commentaire social dans la lignée de Ray Davies, "Orange lace", toute en sonorités délicates de simili-glockenspiel, "Time track", un sommet, à la fois psychédélique et puissant avec sa guitare crunchy et ses claquements de mains... On s'étonne de la capacité qu'a Skip Bifferty à développer ses chansons, c'est-à-dire à leur donner une envergure dramatique par des couleurs nouvelles, des arpèges façon Harrison... C'est valable ici comme ailleurs - les chansons "Come around" et "Follow the path to the stars", dont les descentes harmoniques classiques sont complètement emportées par des développements où brille la voix de Graham Bell. De la soul psychédélique ! Il faut absolument écouter "Come around" à 1:22 ! Bref, il n'y a pas de titre, sur cet album, qui n'ait ses moments brillants. On devrait encore citer "Yours for at least 24", qu'emmène un riff de piano dont on s'aperçoit au moment de la coda qu'il est du niveau des "feels" de Brian Wilson, ou "Prince of Germany the first"...
 
Malheureusement pour Skip Bifferty, l'album sera remisé au placard par RCA pendant presque un an ; il ne sortira qu'en juillet 68, qui plus est dans une version défectueuse. Entre temps, un troisième single, propulsé par le bon morceau de power-pop "Man in black", avait paru. Toujours sans succès... Brouillé à la fois avec son manager et avec RCA, Skip Bifferty se métamorphosera en Heavy Jelly, puis Arc. Plusieurs de ses membres connaîtront une carrière fructueuse dans les années 70 : ainsi Graham Bell qui formera Every Which Way avec le batteur de Nice Brian Davison, l'excellent bassiste Colin Gibson rejoindra Ginger Baker, et plus encore Gallagher & Turnbull, qui accompagneront Ian Dury. A noter que cette compilation Cherry Red a un intérêt particulier en ce qu'elle exhume trois titres inédits, à savoir "Jesus Smith (the other side of)", première expérimentation en studio de Skip Bifferty, longtemps réputée perdue, et deux versions abouties de "Skizoid revolution" (on ne disposait jusqu'à présent que d'une version avec guide vocal d'Alan Hull, leur premier chanteur parti à la fin 65, futur fondateur de Lindisfarne).



SKIP BIFFERTY Inside the secret (Photomontage)