I'd rather be the devil - The legendary 1931 session

Skip James

par Francois Branchon le 28/02/2010

Note: 9.0    
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Curieuse et fascinante vie de Skip James. En 1931, il est repéré par Henry C. Speir, disquaire de Jackson, Mississipi qui lui fait passer une audition dans sa boutique, entre une table et une pile de disques. Speir n'est pas n'importe qui : talent scout au feeling redoutable, c'est un découvreur de beaucoup des bluesmen des années 20 et 30 (Charlie Patton, Robert Johnson, Son House, Ishman Bracey...) qu'il emmène et produit dans les studios des compagnies discographiques naissantes (Okeh, Victor, Decca, Vocalion, Columbia...).

Skip James, c'est à la Paramount que Speir le propose. Le nom sonne hollywoodien, mais en 1931, la Paramount est à Grafton, Wisconsin une fabrique de... meubles (!), plus exactement de meubles-électrophones d'appartement, qui désire produire quelques artistes-maison pour en offrir les disques à ses clients. Après un voyage de 1000 km en train depuis Jackson (une aventure), Skip James enregistre sa session, dans un cagibi au fond de l'atelier, seul avec sa guitare (parfois soutenu au piano). Vingt-six morceaux de sa composition qui vont créer sa légende. Car malgré le succès qui va frapper très vite, ce seront les seuls pour longtemps, car James va se retirer : il a "rencontré Jésus" et désire se consacrer à sa nouvelle "mission", diffuser la parole de Dieu. Spier n'y pourra rien, et ce n'est qu'en 1964 que le guitariste de la nouvelle scène folk et blues John Fahey le convaincra de revenir, pour réenregistrer et donner quelques concerts, notamment au festival de Newport (cf la vidéo). La fin des années soixante le voit même, peu avant sa mort en 1969, accéder à une petite célébrité quand le rock anglais se piquant d'hommages reprend son "I'm so glad" (Cream).

Rev-Ola réédite ici l'intégrale de la session de 1931, ou plutôt les dix-huit titres qu'il en reste, huit ayant été détruits ou perdus dès les années trente. Il s'agit ici des versions originales, non des versions réenregistrées pour Vanguard ou Takoma (le label de Fahey) au cours des sixties.

Reflets du blues de la Grande Dépression, les chansons de Skip James sont parmi les plus distinctives du Delta, et elles en influenceront beaucoup, notamment Robert Johnson dont "Hellbound on my train" et "32-20 blues" sont directement inspirés (plagiés ?) de "Devil got my woman" et "22-20 blues". Un style lyrique, technique (pour les spécialistes il accorde sa guitare Ré La Ré Fa La Ré, une nouveauté qui fera école dans le blues et le bluegrass), mais toujours plein de sensibilité, une voix vibrante au fin falsetto (que Bob Hite le chanteur de Canned Heat reproduira à l'identique), un sens rythmique phénoménal ("I'm so glad"). Mais l'aura de Skip James est désormais éternelle, régulièrement repris : "Cypress Grove" (Rory Block), "Devil got my woman" (Big Sugar, Beck, Alvin Youngblood Hart), l'extraordinairement moderne "Hard time killin' floor blues" (sur la BO de "Brother where are thou" des frères Coen) et souvenez-vous de "Ghost world" l'excellent film de Daniel Clowe : quel morceau, grâce à Steve Buscemi, passe Enid en boucle, abandonnant ses Buzzcocks adorés ? le plaintif "Devil got my woman", encore lui... Tous ces titres sont réunis ici. Vous aimez le blues ou vous voulez le découvrir par sa face authentique : cette réédition, qui bien sur "gratouille" sur certains titres malgré le soin apporté, est indispensable.

NB : La série TV "The blues" de Martin Scorcese en 2003 montre très bien le travail de découvreur" de Speir, et le film de sa série Blues réalisé par Wim Wenders ("The soul of a man") reconstitue l'audition de Skip James chez Spier puis l'enregistrement de la session au fond de l'atelier de la Paramount.



SKIP JAMES Devil got my woman (Live Newport 1966)