Lovetune for vacuum

Soap & Skin

par Jérôme Florio le 11/03/2009

Note: 9.5    

"On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans", a écrit Arthur Rimbaud :  l'Autrichienne Anja Plaschg démontre le contraire, terriblement.

On pourrait facilement s'étonner de son âge, à l'écoute de ses chansons veinées de marbre. Elles sont placées sous le patronage très assumé de la figure maternelle et morbide de Nico : sur son premier Ep (2008), Anja reprenait l'intimidant "Janitor of Lunacy", qui ferait fuir n'importe quelle chanteuse sensée. Elle s'en sortait brillamment. Elle parvient donc à se couler dans un moule pourtant tiré à exemplaire unique. C'est très gonflé et troublant ; sur sa page myspace, on peut visionner une vidéo dans laquelle elle cherche à ressembler à la Nico brune et décatie des années 80. Dessous, il y a même une photo de bicyclette... Le pire est que l'on n'arrive pas à déceler les signes d'un mimétisme opportuniste ou d'une quelconque pose, mais plutôt d'un hommage. Comment peut-on, si jeune, arpenter ces gouffres - même en musique ? Et choisir comme modèle l'anti-modèle absolu ? Anja nous dit aussi que l'adolescence est idéale pour ressentir intensément la solitude terrible qui habite les chansons de Nico, un moment d'autant plus préservé que l'on peut s'y projeter entièrement, sans les responsabilités du monde des adultes. L'Autrichienne nous fait revivre les sensations que l'on a connu la première fois que l'on a posé le Cd de "Desertshore" sur la platine, à peu près au même âge que le sien. Rien que pour cela, note maximale sur l'échelle émotionnelle.
 
Soap & Skin, c'est du savon, et du bien noir : "Lovetune for vacuum" confesse son attirance pour le vide, l'attrait des fleurs fanées et le repos éternel. "Extinguish me", "Thanatos", "Sleep", "Marche funèbre"... carrément la couronne d'épines sur des photos, et en couverture un portrait façon Odette trépassée... même "The sun" a rarement paru aussi pâle. On a l'impression d'habiter un palais désolé, mais paradoxalement pas glacial : comme Nico, Anja Franz Lasch distille une certaine douceur tout sauf innofensive. Une féminité autre, à la beauté mortifère. Plus près de nous, sur certains morceaux ("Cynthia", "Spiracle"), on repense à la Cat Power inconfortable d'avant ("The covers record", 2000), mais avec un vocabulaire musical plus large. Anja parle le langage d'aujourd'hui, et utilise l'électronique, discrète ou plus prononcée ("Ddmmyyyy") - son compatriote Christian Fennesz a notamment remixé "Xray heartland", sur le premier Ep.

Entier et absolu comme on peut l'être à l'adolescence, "Lovetune for vacuum" est un elixir à la puissance rare, porté par une personnalité forte et encore en devenir.


SOAP & SKIN, The sun (Live State X festival 2008)