The singing nun

Soeur Sourire

par Francois Branchon le 03/06/2014

Note: 9.0    
spiraleAcheter


De Sœur Sourire, ceux qui ont connu les sixties gardent le souvenir d'une brave nonne devenue phénomène, une belle histoire nimbée de toute la pureté qu'on attend d'un monde religieux nécessairement dénué de toute cupidité et d'arrière-pensées. Et pourtant... c'est sous des travers plutôt pervers que se révèleront ces Dominicaines-là...

Jeune fille de son temps dans une famille de Belges moyens, petits commerçants étroits d'esprit qui tentent d'imposer à leur fille un garçon bien comme il faut et une vie conforme au qu'en dira-t-on (les bonnes gens n'aiment pas que...), Jeanine Deckers, homo non assumée ni même alors consciente, préfère Presley (ça part mal) dont elle aime grattouiller les chansons à la guitare (comme un mec) en se déhanchant comme lui (là c'en est trop). Un énième clash familial fait fuir Jeannine vers le couvent le plus proche, où novice elle deviendra nonne, sans se ménager quelques prises de bec avec l'intendance.
Profitant d'un reportage de la télévision belge sur la congrégation, elle fera tout pour se faire remarquer en chantant sa chanson "Dominique" dans le champ de la caméra. L'engrenage est en place. Le reportage sera vu par un directeur artistique de Philips Belgique, qui signera - avec le couvent - un contrat juteux. Affublé du nom qu'elle n'a pas choisi de Sœur Sourire, le single sera - sans qu'elle n'en sache rien - numéro 1 en 15 jours, en Belgique, puis en France. Philips et le couvent multiplieront leurs mises. Ed Sullivan se déplacera en personne jusque chez les nonnes pour faire passer la singing nun dans son show du dimanche soir. Des couilles en or, encore gonflées par les quatre autres EP qui suivront, autant de chansons dont elle est l'auteure-compositrice, mais toutes déposées au nom de Sœur Sourire par le couvent.

Lorsqu'elle prend conscience de son phénoménal succès (Dominique a détrôné les Beatles du top one américain), elle souhaite entrer en contact avec ce public pour qui ces chansons avaient été écrites, sans autre intention que de parler de justice, de foi, de confiance. Refus du couvent de la laisser s'égayer dans le monde libre. Frustrée, Sœur Sourire se défroque, claque la porte. Un autre engrenage se met en place, celui des ennuis. Philips lui interdit de s'appeler Sœur Sourire (le nom est déposé par le couvent), puis rompt son contrat. En théorie elle n'a même plus le droit de chanter ses propres chansons. Dépossédée.

Elle tentera différents come-backs, en 1966 (sous son nom de dominicaine Luc Dominique), en 1971 puis le dernier en 1982 où elle se réapproprie le nom de Sœur Sourire.
Elle y sera toujours digne, avec des mots précis et nets, sur la duplicité, les apparences. Claire, limpide mais carrée, comme on peut la voir et l'entendre ci-dessous en 71, interviewée par un Philippe Bouvard déjà bouffi et auto-satisfait de son humour vulgaire et vache.
A la fin 1980, Annie, l'amie d'enfance entreprenante et amoureuse du premier jour devient sa compagne. C'est alors le fisc belge qui lui réclame les arriérés d'impôts sur ses phénoménales ventes de disques. Conformément aux règles dominicaines, tous les revenus avaient été reversés au couvent. Sollicitées, les Sœurs observeront leur règle d'or : le silence. Comme Philips.
En 1982, elle sort une version electro-pop de "Dominique" avec le groupe belge Telex, dans le but purement alimentaire d'éponger ses dettes. Pas vraiment terrible, et bide total.
Jeanine Deckers et son amie Annie Pécher, devenues dépressives et alcooliques, se suicideront ensemble en 1985.

RIP Jeanine.

Cette réédition anglaise rassemble les vingt titres des cinq EP Philips, auxquels le label él a accolé des œuvres pour orgue d'Olivier Messiaen. On aurait aimé les chansons post Sœur Sourire, quasi introuvables de nos jours, chacun des 45 tours ayant été un échec commercial.





SOEUR SOURIRE Dominique (Clip officiel 1963)



SOEUR SOURIRE Tous les chemins (1963)





Premier come-back en 1966 : une interview de Claude Angeli pour la télévision française

LUC DOMINIQUE (Interview TV 1966)




Deuxième come-back en 1971, reçue tout en finesse par le content de lui Philippe Bouvard

SOEUR SOURIRE Les façades (Live TV 1971)




Troisième come-back en 1982, avec Telex

SOEUR SOURIRE & TELEX Dominique (clip officiel 1982)