Un coeur simple

Stephan Mathieu

par Hugo Catherine le 09/04/2014

Note: 9.0    
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"Un cœur simple" est une méditation toute en longueur. Notre première impression est celle d'une musique religieuse, nous montrant la voie de nos voix intérieures. L'impact mental est immédiat et nos sens suivent : la musique de Stephan Mathieu impose une luminosité intense, à laquelle nous serions surexposés. Son son-lumière accompagnerait volontiers une œuvre de James Turrell. Autour et aux confins de son son supra-lumineux, déambulent des vibrations de cordes, des nappes profondes, des clochettes presque mélodieuses, et parfois aussi, quelques touches naturelles, voix et chants d'oiseaux en tête. Il se dégage une ampleur et une clarté souvent inouïes, discrètement soutenues par les réverbérations, les échos, les superpositions. Stephan Mathieu a un son qui porte et invite à l'abandon. Dans sa lenteur, sa profondeur, sa texture, il a quelque chose d'indiciblement unique – ce qui relève de l'exploit tant tout bidouilleur sonore se veut, souvent à tort, le créateur d'une expression distinctive.

Cet album s'est construit autour d'une œuvre de Flaubert ; la musique de Stephan Mathieu prend ainsi la forme d'une revitalisation contemporaine d'une œuvre passée. Ici, le temps c'est de la musique. L'album tourne autour d'un beau paradoxe puisque, d'une part, il court-circuite le temps en empruntant au Flaubert d'hier, et, d'autre part, laisse le temps au temps en optant pour des sons sans fin et des morceaux qui s'étirent. De surcroît, le choix de Flaubert ne parait pas anodin : ce dernier ne projetait-il pas d'écrire "un livre sur rien" ? Ici, Stephan Mathieu livre en quelque sorte une musique sur rien (une musique sans musique ?), dénuée de sens narratif, mais pourtant si pleine de signes. Il s'agit donc de s'attarder avant tout sur la pure matérialité du langage sonore.

À ce sujet, la dernière piste, "Trace", long et envoûtant tableau de quinze minutes, achève de nous convaincre. Malgré une certaine aridité, il faut accepter de ne pas décoller nos oreilles, maintenir un volume suffisamment décent et éprouver la luminosité interminable, les gonflements passagers, la cohérence d'ensemble. L'extrémisme de Stephan Mathieu opère car il intrigue et envoûte à la fois, dégageant une puissance qui donne le vertige.