Dans la famille des un pour cent de
privilégiés aussi riches que la moitié du reste de la
planète, on demande une mécène absolue et désintéressée
(entendre qui ne se soulage pas fiscalement à bon compte), une
amoureuse de jazz, une passionnée capable de tout ! On vous le fait trois en une : la baronne Pannonica de Koenigswarter ! Vous ne la
connaissez pas ? Cette biographie
dessinée que publient les Éditions Steinkis est révélatrice et passionnante.
PK était la fille du banquier Charles
de Rothschild, mort de la grippe espagnole. Mariée jeune en 1935 à un diplomate français, destinée à
une luxueuse vie calibrée sur la route ultra-excitante des soirées
et des réceptions au boudoir, PK ne fera rien comme l'exigeait le
protocole lié à son rang, s'achetant des voitures de sport qu'elle conduit comme une folle comme s'engageant en 1939 dans l'armée française d'Afrique du Nord. Après-guerre, elle fait scandale avec ses passions de la nuit, quand elle fréquente les boites de jazz, de Paris ou de Londres, car oui la baronne adore la musique de nègres ! Elle finit par plier bagages en 1954 et file à New York, pour vivre au plus près sa passion dans les clubs de jazz enfumés de
Manhattan. Mais elle ne se contente pas d'une vie de mélomane amoureuse de concerts où elle se rend en Rolls Royce. Forte d'un compte en banque en béton
(l'héritage de papa) et surtout d'un amour viscéral de son jazz, Pannonica va se montrer une Pygmalionne avisée, découvrant,
encourageant, finançant (à fonds totalement perdus) nombre de
musiciens débutants à qui elle va offrir un marchepied vers la
reconnaissance et le succès.
Amie d'Art Blakey, Dizzy Gillespie, Charlie Parker, Bud Powell (qu'elle accompagna dans ses
derniers jours) c'est surtout sa relation hors-normes avec Thelonius
Monk qui va susciter des commentaires. Admiratrice du pianiste à en
être aveuglée, supportant imperturbablement chaque frasque de son
caractère capricieux, finançant les sessions studio de ses
enregistrements, ses concerts, lui offrant une voiture et même un
appartement à Manhattan, puis une maison dans le New-Jersey où ils
s'installeront tous, Nica, Monk, sa femme et ses deux enfants, la fameuse maison aux 122 chats (voir la vidéo ci-dessous).
Pannonica de Koenigswarter n'a bien
injustement laissé aucune trace historique dans les mémoires, et c'est une
sorte de réhabilitation bienvenue que signe ici Steinkis grâce au
scénariste Stéphane Tamaillon et à la dessinatrice Priscilla
Horviller (avec une préface de Francis Marmande). Inconnue et oubliée la baronne ? Oui,
mais pas des amoureux et érudits du jazz, qui connaissent les morceaux composés par ses amis : Kenny Drew ("Blues for
Nica"), Sonny Clark ("Nica"), Gigi Gryce "Nica's tempo"), Horace Silver ("Nica's dream"), Freddie Red ("Nica's steps out"), Kenny Dorham ("Tonica"), Barry Harris ("Nicaragua"), Eddie Thompson ("Theme for Nica", Tommy Flanagan
("Pannonica") et bien entendu Thelonius Monk ("Pannonica"), leur manière à eux de remercier pour l'éternité la muse qu'elle était, tellement loin des contingences matérielles dont elle se fichait éperdument.