Road to Rouen

Supergrass

par Jérôme Florio le 05/09/2005

Note: 9.0    
Morceaux qui Tuent
Kick in the teeth
St Petersbourg


De la route de Rouen, je garde le souvenir de cette monotone nationale entre Evreux et Orléans, qui me faisait perdre un temps fou avant de tracer sur Toulouse – encore 600 kilomètres... j'aurais bien aimé avoir un disque comme "Road to Rouen" comme compagnon de voyage.

Les petits gars de Supergrass ont fait du chemin depuis leur juvénile "I should coco", paru en 1995 alors que la "brit-pop" battait son plein : il y avait finalement derrière ces tronches de cartoon suffisamment de ressources pour envisager l'épatant glam-rock psyché de "Life on other planets" (2002). "Road to Rouen" confirme que la bande serrée autour de Gaz Coombes délaisse les tonneaux et les loopings, ralentit la cadence pour s'autoriser des figures plus compliquées mais toujours acrobatiques.
Il y a quelques détracteurs pour trouver le groupe coincé dans un son seventies - mais au diable les tracteurs, car Supergrass maîtrise une science essentielle pour bien avancer : la dynamique. On est étonnés par ce disque qui semble contenir deux fois plus d'idées que ne le permet son format (35 min.), et qui parvient néanmoins à créer un sentiment de durée.

"Road to Rouen" s'apprécie comme un voyage, qui propulse son auditeur d'une plage à l'autre sans éprouver le besoin d'en sauter une seule : pas de titre exceptionnel ici, mais un ensemble supérieur à la somme de ses étapes. "Tales of endurance" commence tranquillement acoustique, avant de prendre un surprenant pont (de Normandie) de cuivres pour passer sur une rive plus électrique avec un riff simple et heurté. Le piano fait fondre la glace sur "St Petersbourg" et "Sad girl", en faisant valser les Kinks et les Beatles (côté "I am the walrus", à des années-lumière d'Oasis) au son de cordes en glissando. Le milieu de parcours réserve quelques belles sorties de route : une autre oeillade russe avec le jouissif "Coffee in the pot" et sa rythmique de baloche cosaque. Puis "Roxy" fait le grand écart entre les claviers froids du Bowie berlinois et un chant soul – Gaz Coombes y presse son petit coeur de manière attachante. L'accord plaqué de piano et la rythmique funk de "Road to Rouen" prennent en stop le John "Shaft" d'Isaac Hayes. Supergrass n'oublie pas ses fondamentaux : "Kick in the teeth", avec son riff en intro qui sonne très 13th Floor Elevators, pourrait être un résumé de leur style, direct et accrocheur tout en évitant les lignes droites. Le Lennonien "Low C" et "Fin" terminent posément, avec des choeurs, en s'essayant même à un gimmick aussi éculé que le vocoder et une rythmique électro minimaliste.

Les personnalités n'ont pas bougé : une bande d'amis soudée, dans laquelle Mickey Quinn enrobe toujours les mélodies de lignes de basse rondes comme des nounours. Ce côté franc du collier va bien à un groupe qui tâche de grandir du mieux qu'il le peut - ce qui leur est parfois reproché -, en laissant sur le bas-côté une adolescence fofolle pour délivrer son disque le plus abouti.


SUPERGRASS St. Petersburg (Clip)