Come down

Tara Angell

par Jérôme Florio le 24/10/2004

Note: 9.0    
Morceaux qui Tuent
The big one


Le look de Tara Angell sur la pochette, c'est "lunettes noires pour nuits blanches". D'accord, la symbolique n'est pas toute légère : avec un nom pareil, intituler "Come down" un premier disque c'est comme vouloir entraîner l'auditeur dans sa chute.

Un ange auquel on aurait coupé un "l", shooté en plein vol puis tombé dans les caniveaux new-yorkais : la morgue rock, on doute que Tara Angell l'ait apprise dans les magazines de mode. La voix éraillée et élimée à force de fréquenter les bars enfumés du Lower East Side, est blessante et apaisante dans le même mouvement, elle agrippe comme celle de Marianne Faithfull période "Broken English".

Cela fait longtemps que l'on n'a pas entendu un aussi bon disque de folk-rock urbain, qui sonne autant "New York" – celui fantasmé des mirages et des néons flingués qu'a dépeint Lou Reed, une grosse pomme que l'on croque avec gourmandise, et dont on savoure l'épais jus noir. Tara Angell est entourée de musiciens qui ont joué avec Patti Smith, Natalie Merchant, Paul Simon, mais la cohérence et la couleur de "Come down" doivent beaucoup à Joseph Arthur : producteur du disque, et par ailleurs auteur d'une poignée de très bons disques, il sait rendre avec justesse le son tamisé et électrique qui met en valeur la classe évidente des gens qui jouent ici. Ce côté "classic-rock" ravive l'esprit d'une certaine contre-culture : l'orgue sur "The world will match your pain" peut ramener au Bob Dylan de "Visions of Johanna" – de l'album "Blonde on blonde", un bon résumé de l'atmosphère intime et enfumée qui baigne les chansons de la non moins blonde Tara. Avec "Bitch please", titre bluesy parasité par diverses sources sonores pas très clean, Angell fait avec brio son "Kicks" à elle (morceau de Lou Reed sur "Coney Island baby"). Certaines prises de voix semblent avoir été captées live depuis les toilettes d'un bar ("When you find me"), "Don't blame me" évacue crûment toute tentation d'auto-apitoiement : "don't cry for me / I'm not your little girl". "Uneven" et la superbe mid-tempo "The big one" véhiculent une émotion à vif, à la beauté d'un miroir brisé qui renvoie un reflet touchant de nudité et de sincérité.

"Three times" et "Silver lining" prennent dans un tourbillon inquiétant dont on ne sait s'il est ascentionnel ou s'il s'enfonce dans les profondeurs. "Angel, down we go together" - ce titre d'une chanson de Morrissey s'applique bien au disque : c'est de plein gré que l'on s'enchaîne à Tara Angell, saisi par la beauté sombre qui se dégage de "Come down".