Live at the Atlanta International Pop Festival - July 3 & 5, 1970

The Allman Brothers Band

par Francois Branchon le 24/11/2003

Note: 9.0    
Morceaux qui Tuent
Dreams


A la manière du Grateful Dead, l’Allman Brothers Band symbolisait la jam et l’improvisation sur scène. Drivé par les vocaux et l’orgue Hammond de Greg Allman et la guitare solaire du petit frère Duane, le groupe dispensait une putain d'énergie organique, qui semblait réclamer la scène pour chauffer sa musique jusqu'à la fusion. Quand le psychédélique Dead explorait les territoires interstellaires, l’Allman Brothers Band, nourri au blues du terroir, creusait de délirantes galeries souterraines, ce qui n'était pas moins excitant ni moins sophistiqué (et il s'y cueillait semble-t-il de succulentes variétés de champignons...).

Calés sur la rythmique de Berry Oakley (basse) et du duo Jaimoe / Butch Trucks (batteries) et accompagnés par le deuxième guitariste Dicky Betts, les deux frangins ont conçu une liqueur bien titrée : du blues du Delta emballé dans du rock charpenté aux rythmiques country. Ce style siglé "Southern rock" ("rock du sud") sera leur marque de fabrique et engendrera une très longue lignée de groupes, Marshall Tucker Band, Lynyrd Skynyrd, Outlaws, Charlie Daniels...

En juillet 1970, c’est un jeune groupe de quelques mois (formé en 1969 à Macon), qui joue (deux fois) devant les 500000 personnes du festival d’Atlanta, quasiment dans son jardin, à quelques miles de sa ville. Star locale, l’Allman Brothers Band est tête d’affiche devant Jimi Hendrix, Jethro Tull, It’s a Beautiful Day, Captain Beefheart, BB King et quelques autres. Deux soirées pleine de jus et de feu, légitimant une réputation naissante de poids lourd du rock et de grand groupe live.

Le double album offre deux heures et demie de l’ABB "vintage" (celui de la formation originale), avec une série de morceaux qui allaient tous devenir leurs classiques. Le premier disque (set du 3 juillet) s’enchaîne avec précision, les tempos changent avec aisance à chaque morceau. Une version enlevée et souple de "Statesboro blues", un énergique "Trouble no more", contrecarré par le blues lent de "Don't keep me wonderin", les guitares puissantes de "Hoochie coochie man", la rythmique plombée de "Mountain jam parts I & II", les deux guitares enroulées de "In memory of Elizabeth Reed" portant le morceau en lévitation, le subtil "Dreams" et le quart d'heure "Whipping post", swinguant et planant à la fois où Duane Allman et Dicky Betts rejoignent parfois Jerry Garcia... Un premier concert brûlant d'un groupe en pleine forme, à la maturité de briscards étonnante pour sa jeune existence, l'air du pays peut-être, bref déjà une carrure.

Pour les fans, le second volume est cadeau. En clôture du festival (5 juillet), le groupe présente une liste de morceaux un peu différente, mais le potentiel est toujours explosif, volcan à ciel ouvert toujours prêt à l'éruption. "In memory of Elizabeth Reed" est une des plus belles versions jouées, judicieusement suivie des neuf minutes de "Stormy monday" de T-Bone Walker. Et les versions - longues, respectivement 14 et 28 minutes - de "Whipping post" et "Mountain jam" sont d'autres sommets. Il est convenu de trouver pesants et indigestes les interminables morceaux de ces années-là. Et faut bien reconnaître que les solos de batterie d'un quart d'heure (Vanilla Fudge, Cream) ou les rendus du progressif anglais seventies (Yes, Pink Floyd, Genesis) sont une épreuve. Mais pas les Allman Bros ! La longueur de leurs morceaux n’altère jamais leur qualité. Ils ne bavardent ni ne remplissent, et leur penchant pour la jam n’est jamais forcé ni contraint. Bien au contraire, ces explorations scéniques procèdent d’une progression naturelle de leur musique, d’une quasi spiritualité.

Ces enregistrements du festival d’Atlanta précèdent d’une année le légendaire double album "Live at Fillmore East" de New York, et présentent le groupe dans sa formation originelle, avant que le destin ne frappe Duane Allman d’abord, puis Berry Oakley, en 1971 et 72. Bien que Greg Allman soit plus de trente ans après toujours sur la route avec un ersatz de son groupe historique, rien ne peut remplacer le vrai. Avec cette sortie, Epic Legacy va donner un peu plus de fierté aux fans des Allman, mais plus simplement et sans surestimation, 150 minutes de bonheur à tous, pour peu que l'on soit touché par le blues. Il s’agit juste alors de se caler dans son fauteuil, un verre de Southern Comfort et d'imaginer l'été, au cœur du Sud américain.