Rubber soul

The Beatles

par Damien Berdot le 26/09/2008

Note: 10.0     

Dans leur dépouillement et leur perfection, les chansons de "Rubber soul", premier grand album des Beatles, atteignent à une espèce d'épure, en sorte qu'on pourrait parler de période classique du groupe. Pas un mauvais titre et George y trouve pour la première fois un style propre, notamment à l'acoustique.

Les deux monuments sont l'œuvre de John, "Girl" et "In my life", moments d'épanchement privilégiés, premières grandes ballades lennoniennes. "Girl", en particulier, et ses accents mélancoliques très touchants. John qui, dans l'album précédent, appelait à l'aide, est ici en quête d'une main féminine secourable. Le jeu de George, qui l’accompagne discrètement (ce n'était pas pour rien le "quiet Beatle" !), est de toute beauté. Quant à "In my life", c'est un regard presque épitaphique porté sur les gens que John a connus et aimés. Virée liverpudlienne depuis Menlove Avenue jusqu'aux docks. A signaler : un solo de clavecin (en fait du piano au son trafiqué) joué par George Martin... La présence du clavecin n'est pas pour étonner : "Rubber soul" est un album de transition, ou plutôt de conciliation : équilibre parfait entre le triomphe de la mélodie, qui caractérisait les livraisons antérieures, et les expérimentations naissantes.

"Norvegian Wood", par exemple, est une des chansons fondatrices du psychédélisme. Il flotte sur ce morceau des effluves singulières, en partie redevables aux sonorités du sitar (première utilisation par George de cet instrument, qui deviendra un poncif de la musique psyché). Mais là où certains ne retiendront que la parure, oubliant qu'une chanson doit avoir un corps, les Beatles se surpassent pour tresser des mélodies à la fois mémorables et suggestives. Le refrain en chœur ("She told me to stay...") est une merveille, à laquelle un accord mineur inattendu donne une couleur mystérieuse opportune. Repassez-vous le refrain de "We can work it out" : c'était déjà la même chose, un refrain en mineur admirablement suggestif. On a dit de Schubert que c'était un peintre du clair-obscur, en raison de ses incessantes modulations entre mode majeur et mode mineur. Disons la même chose de John...

Il y a bien sûr d'autres chansons marquantes : "Drive my car" et son riff de basse doublé par la guitare crunchy de George, son refrain bien connu ponctué d'accords de piano, ses paroles pleines d'humour... "Nowhere man", l'homme de nulle part, encore une illustration du fait que John était en pleine détresse à l'époque, "Michelle", archi-connue, paroles naïves, mais ça reste néanmoins du bel ouvrage, grille d'accord jazz, excellente ligne de basse, solo très bien composé, saturé de graves.
Les chansons de George sont supérieures à ce qu'il faisait jusqu'alors : "If i needed someone" et ses arpèges byrdsiens, fut la seule chanson de Harrison à être interprétée lors de concerts des Beatles. On préférera "Think for yourself", rehaussée par la basse fuzz de Paul (dont c’est la première utilisation ; cet album est décidément l'occasion de beaucoup de premières). Et encore "Wait", prévue à l'origine pour l’album "Help", couplets, refrains (par John) et ponts (par Paul) bien écrits, autre illustration de la grande science de l'éclairage d'une chanson par des arrangements judicieux (ils sont pourtant simples, avec seulement guitare, basse et batterie). "Run for your life" enfin, chanson de John emportée par un rythme rockabilly très jouissif, où George se déchaîne à la guitare. Bons sentiments et rock ne font pas forcément bon ménage : les paroles sont très misogynes et John s'en repentira plus tard. On préfère, disons-le, le John "d'avant".

"Rubber soul", favori de beaucoup de beatlesmaniaques, apparaît au final comme un album absolument indispensable, l’un des cinq albums majeurs des Beatles avec "Revolver", "Sergeant Pepper's", le "double blanc" et "Abbey Road".



BEATLES Think for yourself (1966 Audio seul)