Made in Amerikkka

The Last Poets

par Yohan Saynac le 09/10/2009

Note: 8.0    

"The Last Poets, made in Amerikkka" est un documentaire musical de Claude Santiago - au titre éminemment symbolique, s'agissant d'un groupe né à Harlem dans une Amérique de 1968 encore en proie à l’apartheid (le Sud et son KKK) et qui fut le porte parole de toute une génération d'opprimés. Point d'orgue du coup de projecteur sur cette poignée d'hommes ordinaires au destin extraordinaire, le concert-retrouvailles donné en 2008 au Festival Banlieues Bleues pour leur quarantième anniversaire. David Nelson, Abiodun Oyewole, Felipe Luciano, Umar Bin Hassan et Jalal Mansur Nuriddin sont là, seuls manquent Suliaman El-Hadi (décédé) et Gylan Kain. Ils sont accompagnés par quelques pointures de la musique noire, Ronald Shannon Jackson (ancien batteur d'Albert Ayler), Jamaladeen Tacuma, Robert Irving III (ex pianiste-arrangeur de Miles Davis), le percussionniste Kenyatte Abdur-Rahman... L'oscillation entre les interviews, les répétitions et le concert lui-même permet de pénétrer au plus près des retrouvailles, dans l'intimité des Last Poets, et on regrettera que le documentaire ne dure que 52 minutes…

C'est donc en 1968, dans une Amérique encore gangrenée par la ségrégation raciale, que Felipe Luciano, Gylan Kain et David Nelson donnent naissance à leur groupe, qui va rapidement s'imposer comme un monument de la culture contestataire noire américaine. La plume est au service de la cause. L'art oratoire, le spoken word, en guise d'arme ultime et sacrée. Ces artistes d'une vingtaine d'années font à l'époque le pari que des mots peuvent provoquer une prise de conscience dans les esprits résignés des Afro-américains. Ils cherchent ainsi à insuffler un élan révolutionnaire à chaque texte, chaque vers, chaque rime.

"Wake up Niggers" et "Niggers are Scared of Revolution", chansons emblématiques des Last Poets, résonnent comme un défi lancés aux leurs. La forme musicale est quant à elle pleine de génie : des percussions africaines offrent la couleur, le spoken word la radicalité et le texte la poésie, une poésie tout en contraste avec la dureté du propos. Leur musique, qui est en somme un mélange de sonorités africaines et de poésie militante, ne peut laisser indifférent. "Die Nigga", interprétée lors du concert, est terriblement émouvante, rappelle que les nègres ne vivaient que pour servir et mourir depuis 400 ans. Grand cri de colère sans haine, l'œuvre des Last Poets est un réveil des consciences noires de l'époque, un refus de la fatalité.

Ils se prononcent évidemment sur le hip hop actuel et l'essor du "gangsta rap" sans le condamner ni l'accabler ; ils le déplorent simplement. Eux qui ont été à l'origine de ce style musical, lui donnant toutes ses lettres de noblesse, ne peuvent évidemment que désapprouver ce qu'il est devenu, le rap n'étant plus la voix des opprimés, mais tout juste un moyen de s'enrichir indécemment.

Claude Santiago livre un reportage émouvant et puissant sur des artistes aux cheveux blanchis par le temps, emplis de sagesse et qui n'ont rien perdu de leur aura. Il dresse un portrait réaliste et humaniste, les Last Poets sont avant tout des hommes. Des hommes qui se sont disputés, qui se sont drogués, qui sont allé en taule, qui n'ont eu de cesse de se séparer et de se retrouver. Des hommes qui ont pensé une manière différente de se battre et de militer