The Libertines

The Libertines

par Chtif le 14/09/2004

Note: 7.0    
Morceaux qui Tuent
Can't stand me now
The ha ha wall


On se souvient de la première rencontre avec les Libertines, en couverture d'un magazine, quelque part en 2002. Les quatre musiciens posaient en uniforme rouge se prenant pour les Beatles de Sergent Pepper, gueules de branleurs en plus. Forcément, on s'est méfié : "The Libertines ? Connais pas !". On nous avait déjà fait le coup avec les Strokes, parachutés sensation du moment avec leur fils à papa de chanteur, tout juste bons à glaner le prix du "groupe le mieux sapé" et du "meilleur attaché de presse" aux MTV Awards. L'arnaque pseudo-punk intello, c'est bon, on a donné.

Seulement voilà, chez les Libertines, pas le moindre indice de supercherie. Leur premier album "Up the bracket" éradiqua tout soupçon : douze brûlots sans complexe, enregistrés dans l'urgence et produits par Mick Jones, l’ex-guitariste des Clash, deux chanteurs-guitaristes, Carl Barat et Pete Doherty aux belles gueules de poètes maudits, un mode de vie bohème dans la pure tradition sexe, drogue et rock'n roll, et en prime le meilleur single de l'année, l'éponyme "Up the bracket". Un sans-faute.

Leurs frasques suivantes ont réjoui : vous en connaissez beaucoup des groupes où l'un des chanteurs (Doherty), cambriole son alter-ego pour se payer sa dose ? Bien sûr, après cinquante ans de décadence rock, plus rien ne choque ni ne surprend, mais des oiseaux comme ça servent au moins à entretenir la flamme. Et c'est toujours plus marrant qu'un Radiohead, à la froideur de bistouri.

Après de tels déboires, c'est un miracle qu'un nouvel album voit le jour. Plus qu'un album d'ailleurs, une vraie séance chez le psy, et toujours Mick Jones sous la blouse. Tout y est : règlements de compte, rancœur et réconciliation. Ça attaque d'emblée avec la merveille pop "Can't stand me now" ("Tu ne me supportes plus, désormais"). "Parfois, sur scène, on la chante en se marrant, parfois en se gueulant dessus ou en pleurant" (Carl Barat)...

La suite est un joyeux bordel où se battent en duel guitares approximatives au son brut de traficotage, décharges punks crétines ("Arbeit macht frei", ben voyons), guirlandes psychédéliques impromptues comme un retour d'acide (au beau milieu de "The ha ha wall"), ou ritournelles à la Beatles.

Les morceaux semblent avoir été écrits sur le coin d'une table cinq minutes plus tôt, entre cendriers pleins et verres vides. Le tout est joué d'un air absent, superbement désinvolte, à tel point qu'on se demande s'ils se savaient enregistrés (une classe inexplicable, presque énervante...). Une déambulation citadine sans but précis mais émaillée de rencontres nocturnes anecdotiques, c'est-à-dire hors du commun : une trompette jaillit dans la lueur tamisée d'une fenêtre ouverte, un couple d'amoureux n'a plus grand chose à se dire sur le banc isolé d'une rue déserte ("Music when the lights go out"), d'insouciants fêtards rejoignent une soirée rétro en chantonnant des "Shoop, shoop, shoop de-lang de-lang" ("What Katie did")...

Ce deuxième album ne satisfait pas tous les espoirs placés en lui, non qu'il soit mauvais, mais ces petits génies n'ont pas voulu s’accorder les moyens de leurs (grandes) ambitions. Quand on a pour soi, l'attitude, la fougue et le bon vent, on est en droit de se montrer un peu arrogant. C'est même conseillé si l'on espère un jour devenir les nouveaux Rolling Stones (Londres, deux frères-ennemis, rock cradingue et couvertures de tabloïds, ça partait pourtant pas mal).

C'est bien beau de faire du rock, les enfants, mais faudrait peut-être penser à sauver le monde non ?