Rave up with the Electric Banana

The Pretty Things

par Damien Berdot le 29/09/2008

Note: 7.0    

Une âme charitable aurait dû prévenir Carl Barât : en associant les vocables "pretty" et "things", il frôlait le sacrilège. Régulièrement, quand on évoque les Pretty Things (les seuls, les vrais), quelqu'un comprend "Dirty Pretty Things". La comparaison n'est pourtant pas à l'avantage de Barât (et peut-être même de l'époque) : des deux groupes, celui qui se prétend sale est précisément celui qui est inoffensif...
 
Les Pretty Things, eux, faisaient peur, autant à leurs débuts, quand ils proposaient des reprises de blues-rock dévastratrices, qu'à l'époque psychédélique (les regards hallucinés de Wally Waller et Twink lorsqu'ils posaient pour les photographes). Le présent disque constitue justement le chaînon manquant entre la fureur des débuts et les albums de la maturité, à commencer par "S.F. Sorrow". Il nous offre ce que l'album de 1967, "Emotions", défiguré par une production inadéquate, ne saurait nous offrir. Ce n'est cependant pas un album ; plutôt une compilation de chansons que les Pretty Things, pour des raisons contractuelles, avaient enregistrées entre 1967 et 1969 pour l'éditeur De Wolfe, sous le nom collectif Electric Banana. Certaines d'entre elles furent utilisées dans des films ("What's good for the goose" de Menahem Golan en 1969 par exemple, dans lequel ils sont le groupe résident du club Screaming Apple). Mais telle est la classe des Pretty Things que ces productions alimentaires s'avèrent bien supérieures à celles de la moyenne de leurs concurrents de l'époque.
 
Les morceaux les plus puissants sont exceptionnels. Ils bénéficient des qualités habituelles des Pretties : la section rythmique est ultra-compacte et Phil May (suppléé parfois par Waller) brille au chant. On citera notamment "Grey skies", "Alexander", avec son ouverture de Hammond et la montée climatique finale, "Eagle's son" (mêmes choeurs déjantés et même guitare saturée que sur "Old man going"), "What's good for the goose", idéale pour une set-list de concert, avec la structure en questions (May) et réponses (Waller et Povey) du refrain... L'efficacité de ces chansons n'exclut pas les audaces de songwriting : ainsi, "What's good for the goose" a un pont à trois temps quelque peu lennonien, où Twink se fait bateleur.
 
Les admirateurs de "S.F. Sorrow" apprécieront de retrouver Dick Taylor à la guitare. C'est lui qui donne des couleurs inusitées à des titres comme "It'll never be me" ou "I love you", au moyen de chromatismes lysergiques et de wah-wah indianisantes. On retrouve d'ailleurs sur le disque une version très intéressante (car moins produite) d'une des chansons de "S.F. Sorrow", "I see you" : elle montre que les Pretties pouvaient produire des climats psychédéliques en se contentant d'une formation tout à fait classique (guitares, basse, batterie, un piano résonnant sporadiquement). Le pont, avec ses lignes de guitares et de basse unifiées par des mouvements contrapuntiques, est mémorable.
 
"Rave up with the Electric Banana" n'étant pas un véritable album, il y a bien sûr du déchet : plusieurs chansons ("If I needed somebody", etc.) sont dans la veine "Emotions" (soul cuivrée) ; "A thousand ages from the sun" est soupesque (la progression harmonique ressemble par ailleurs beaucoup à celle du "All I have to do is dream" chanté par les Everly Brothers") ; "Rave up", comme son nom l'indique, est une jam... Néanmoins, tel qu'il se présente, ce disque apparaît indispensable à tout fan des Pretty Things, le groupe le plus sous-estimé des sixties.


PRETTY THINGS Alexander (Film "What's good for the goose" 1969)


PRETTY THINGS Eagle's son (Film "What's good for the goose" 1969)