Echoes (par Filipe FC)

The Rapture

par Filipe Francisco Carreira le 04/02/2004

Note: 9.0    
Morceaux qui Tuent
House of jealous lovers
Olio
Echoes


New York est un endroit déconcertant. On ne peut danser dans les bars et il est plus facile de porter un flingue que de fumer une cigarette ; paradoxalement cette ville ne cesse de fasciner, de susciter le désir. Après The Strokes et Interpol, c'est au tour de The Rapture de faire tourner les têtes.

Une réputation de concerts incendiaires, une poignée de maxis dévastateurs et la pression monte. Haut. Très haut. Au moment précis où elle atteint son point culminant, l'album débarque enfin, illustré par un titre simple mais ô combien évocateur : il faut être E.T. ou Maître Collard pour ne pas saisir l'allusion aux échos qui jusque-là enguirlandaient le groupe et sur lesquels reposait la hype. Car qui peut se targuer de les avoir vus sur la scène de l'Aquaplanning en 2002 ou de posséder les mini-albums "Mirror" et "Out of the races and on to the tracks", quasiment introuvables ? Il y a quelques mois encore, The Rapture était ce petit groupe "qui monte, qui monte" dont personne n'était capable de citer le moindre titre. Aujourd'hui ses quatre membres fixent l'objectif sur une pochette entre "Aftermath" des Stones et "The piper at the gates of dawn" de Pink Floyd, à la fois classique et barrée, adoptant une position frontale qui semble dire : "C'est nous la sensation".

L'exercice est plutôt casse-gueule : si le disque était mauvais, le groupe aurait l'air arrogant. Heureusement son allure est celle de "Sweet and tender hooligans" fiers et indomptables... "Echoes" s'est fait attendre mais tient toutes ses promesses. Entre mélancolie et extase, ce disque ne vit que de sentiments et de situations extrêmes, habité, dévasté par la folie de quatre hommes, celle de Luke Jenner en particulier : son chant halluciné et suraigu, à la limite de la justesse et de la psychiatrie, tient du cri primal, à la fois grotesque et magnifique - "Olio". Les trois autres ne sont pas en reste : "Heaven" est traversé de spasmes, tailladé par un rythme détraqué et des riffs de guitare épileptiques. Si le groupe est dansant quand il exploite des rythmes électroniques - "Olio", "Sister saviour" - il l'est encore plus dès qu'il y mêle des percussions tribales : "Echoes" ou l'incontournable "House of jealous lovers". Il rend les machines humaines et fait sonner les guitares comme des machines, renversant les rôles avec impétuosité et panache : "I need your love".

The Rapture n'est pas né de la dernière pluie : ses membres fondateurs, Luke Jenner et le batteur Vito Roccoforte se sont rencontrés à San Francisco et ne se sont installés à New York qu'à la fin des années 90. Avant de croiser la route de Mattie Safer et Gabriel Andruzzi, ils ont connu l'errance, la pauvreté et même la cuisine végétarienne ! Incroyable (mais vrai), ces galères n'ont en rien entamé la fraîcheur d'une formation débordante d'envie et de passion, capable d'évoquer le meilleur de la new wave comme de pondre la chanson dont Bowie n'est plus capable : "Open up your heart" rappelle le diptyque "Ziggy Stardust" / "Aladdin Sane" pour le rythme ("Five years"), la sensualité glamour et le saxophone lunaire, entraînant un sentiment de béatitude plus vrai qu'une bénédiction du Pape. A quoi s'ajoutent des paroles à croquer - "Fight the urge to say no (...) Open up your heart" - dont même Maître Collard saura apprécier le caractère prophétique : s'il est un devoir de ne pas suivre aveuglément les modes, il est tout aussi primordial de ne pas sombrer dans l'excès inverse.

Pourquoi fermer son coeur à la folie, à la générosité de The Rapture, comment ne pas épouser sa démarche totale et désintéressée ? Qui sait si le titre de l'album ne fait pas finalement référence à un rêve de musique insensée que ces types auraient eu il y a quelques années ? Un rêve après lequel ils courraient éperdument et dont ils viendraient seulement de poser la première pierre...