The tipping point

The Roots

par Martin Simon le 26/08/2004

Note: 9.0    
Morceaux qui Tuent
Guns are drown
I don't care
Stay cool


C'est certain, on ne les avait pas vraiment perdus de vue : à peine plus d'un an après "Phrenology", le groupe emblématique de Philadelphie revient sans featuring notable et en formation restreinte, séparé des membres Scratch et Ben Kenney. De quoi revenir aux racines en beauté.

Fidèles à leurs codes depuis les prémices, ce sont les titres "103" à "112" qui composent "The tipping point". Seulement dix titres donc, mais un sixième album qui vise très haut : après l'immortel "Things fall apart", les Roots s'étaient quelque peu reposés sur leurs lauriers, en sortant un "Phrenology" moins... scotchant. Mais en mijotant "The tipping point", ils étaient bien décidés à reprendre du poil de la bête.

Ce nouvel album est tout simplement excellent. Encore un peu plus funk qu'à l'accoutumée, on y trouve des titres comme "Star/Pointro" en guise d'entrée en matière, samplé sur Sly & the Family Stone (et ils ne s'en cachent pas !), le frémissant "I don't care" ou encore "Guns are drown", qui n'a rien à envier à son cousin "The seed 2.0". Et comme si ces petites claques ne suffisaient pas, les Roots renouent, le temps de quelques morceaux, avec les influences jazzy des débuts ("Stay cool", qui frôle de très près le génialissime "The next movement"), ou encore rock à la Everlast sur "Why (what's goin on?)". Finalement, il n'y a pas de titre phare sur cet album, puisqu'ils le sont tous. Élevé au petit grain par le flow de Black Thought et les beats presque parfaits du batteur afro ?uestlove, "The tipping point" emprunte à "Things fall apart" ce que le précédent album n'avait pas su faire, autrement dit une profondeur mélodique et émotionnelle incomparables. Malgré l'absence ici de réelle touche féminine, les Roots ont toujours la même sensibilité musicale : légèrement imbus d'eux-mêmes, ils se diront carrément perfectionnistes. C'est acceptable.

Mais "The tipping point", c'est aussi un peu de nouveauté, avec deux morceaux absolument imprévisibles, "Don't say nuthin'" et "Duck down!". Et oui, les Roots se mettent au gros son : plus proche de X Zibit que de Common, on est d'abord effarés. Puis on se surprend à bouger la tête et à taper du pied... Tout en réalisant que ces titres n'ont rien d'innocent, et servent à casser ironiquement les productions rap putrides qui infestent les ondes : "Don't say nuthin'", un titre qui parle de lui-même. Joli rebondissement... D'ailleurs, le disque est une pléthore incisive contre les clichés racoleurs "grosses caisses, chaînes en or & gros nichons" qui règnent dans un milieu anéanti par le pouvoir de l'argent, à tel point qu'il se sent investi d'une mission : "somebody's gotta come up with a plan / and be there when the shit hits the fan / I hope ya'll out there understand / look man it's a fucked up job, but somebody's gotta do it". On ne verra donc jamais ?uestlove posé dans une Lexus tunée, dévorant du regard une meute de chiennes aux poses suggestives. Quel dommage... En tout cas, avec leur sagesse légendaire et leur hip hop cérébral (sans pour autant être inaccessible), les Roots ont peu de chances de délivrer le monde d'une soupe déjà bien ancrée dans les mœurs. Mais bon, un peu de cynisme, surtout bien placé, c'est toujours appréciable.

Farouchement constructif, le hip hop des Roots puise une fois de plus ses idées très loin. Au même titre que "Things fall apart", "The tipping point" est un album essentiel, juste un peu moins bon. A quand une collection de faces b ?