| | 1976 | Album Original | Coffret 4 CD EMI 2004 |
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SPIRALE |
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| | | par Chtif le 29/12/2004
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| Il paraît qu'à l'âge préhistorique, l'homme "inventa" le feu à peu près en même temps sur tous les continents. Coïncidence ? L'histoire des tribus primitives semble se répéter : en 1976, le punk n'était pas que l'apanage des anglais. Au même moment, en terre d'Australie, on savait aussi cramer des amplis ! Preuve historique : en septembre 1976, un mois avant la sortie de "Anarchy in the UK" des Sex Pistols, le single "I'm stranded" des Saints enflammait déjà les branches. Peu après, le groupe signait pour trois albums chez EMI, et s'expatriait vers l'Angleterre.
Des fouilles récemment engagées ont permis d'exhumer les témoignages encore fumants de cette époque bénie. "All times through paradise", coffret en quatre volumes (79 titres), retrace les débuts d'un groupe aussi novateur que méconnu (pléonasme ?). Formés en 1972 autour du chanteur-guitariste Chris Bailey, The Saints sont en effet restés dans l'ombre des bien plus démonstratifs, tapageurs ou vindicateurs Sex Pistols, Clash et Ramones. Une question de look, sans doute, parce que point de vue musique, les Australiens de Brisbane n'ont rien à envier à personne.
Le premier album, "I'm stranded" paru en 1977, est fondateur, incontestablement l'un des meilleurs albums punk jamais parus. Les thèmes abordés sont immuables bien sûr, adolescence, dépucelage et errances urbaines. Chris Bailey est jeune et se fout de politique : du moment qu'il peut se taper sa cousine ("Kissin' cousins"), le reste lui importe peu. Après tout, partir en croisade est le meilleur moyen de s'embourber. La grosse affaire de ce disque réside donc principalement dans l'ouragan sonore déployé tout au long de ces dix titres à la violence encore redoutable aujourd'hui. Au delà de la qualité intrinsèque des compositions, la grande intelligence des Saints est de ne pas avoir renié leurs prédécesseurs : ainsi, les guitares évoquent aussi bien les Stooges (l'intro de "One way street"), qu'AC/DC ("No time") ou... Dylan ("Messin' with the kids") ! On nage en plein sacrilège punk, d'autant plus que le guitariste Ed Kuepper ose ici de longs solos bruitistes, brouillons et sexuels. De quoi provoquer l'ire des crêtes pures et dures, mais ouvrir également la brèche pour d'innombrables groupes garages.
"Eternally yours", leur livraison suivante, va conforter les Saints dans leur statut de groupe à part. En mai 1978, Bailey et ses sbires ne s'identifient déjà plus à la scène punk, désormais lucrative mais tenue en laisse. En ajoutant section cuivre, harmonica et guitares acoustiques aux murs de guitares, ils tournent résolument le dos à ce symbole déchu de rébellion. Le propos n'en est pas pour autant adouci : il devient ici question de dope ("Know your product"), d'aliénation de masse ("Lost and found") et de business carnassier ("Private affair")? Les illusions de jeunesse se sont perdues en chemin. Conséquence immédiate : EMI lâche le groupe et ne soutient quasiment pas cet album sombre et aigri.
Avant de se faire virer, les Saints doivent toutefois honorer leur contrat. Ils vont en profiter pour n'en faire qu'à leur tête, et pondre en à peine six mois un judicieusement nommé "Prehistoric sounds" gorgé de soul et de rock à l'ancienne. Des trois disques, c'est le plus passionnant à redécouvrir aujourd'hui. Poursuivant leur évolution, les Australiens multiplient les clins d'il à Otis Redding, Aretha Franklin (en adaptant "Security" et "Save me") ou... King Crimson (les embardées cuivre-batterie sur "Swing for the crime"). Ils réussissent même une percée en territoire psycho-Cramps ("The prisoner"). Les guitares punks surgissent encore ici ou là, mais l'essentiel du propos réside dans cet hommage passionné et respectueux aux trois décennies de musique rock passées. Bailey maîtrise alors parfaitement son style, désinvolte, moqueur et hautain, comme l'étaient avant lui Iggy Pop, Mick Jagger ou Roy Loney ("Crazy Googenheimer blues" semble d'ailleurs directement extrait du "Teenage head" des Flamin' Groovies). De ce fantastique voyage dans le temps, n'importe quel morceau ferait le bonheur de tout groupe en "The" en quête d'authenticité aujourd'hui.
Quelqu'un était-il au courant que Noir Désir avait déniché "The chameleon" (album "Du ciment sous les plaines") au cur de ce "Prehistoric sounds" ?
Le quatrième et dernier volume de ce coffret est un live inédit enregistré au Hope & Anchor de Londres en 1977. Pas leur terrain de prédilection, mais le son est miraculeusement correct pour l'époque et le style. Une belle brochette de bonus agrémente les différents volumes, prises studio et live, dont la reprise du malheureux "River deep mountain high" d'Ike & Tina Turner. En clair, du travail joliment torché. Les pressions patronales et l'incompréhension du public eurent tout de même raison de la formation originale : la rupture entre Kuepper et Bailey fut inévitable. Le premier poursuivit ses instincts jazz au sein de The Laughing Clowns, le deuxième, décidément infatigable, continue toujours à entretenir la flamme des Saints.
La dynamique sonore élaborée tout au long de ces quatre disques ne laisse aucun doute : au beau milieu des crêtes et des épingles à nourrice, les Saints faisaient figure d'ovnis et de précurseurs. Le mélange des genres de "Prehistoric sounds" débarque un an avant le métissé "London calling" des Clash. La recette a fait des petits, mais la gestation fut longue : on peut sans peine retrouver leur influence dans la vague alternative 90, ou chez nos Hives, Bellrays et Datsuns (leurs compatriotes australiens) contemporains.
Le constat est sans appel : votre nouvelle sensation rock se trouve sûrement plus dans ce coffret qu'en couverture du prochain New Musical Express. La guerre du feu comme si vous y étiez. |
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