Le psychédélisme est à nouveau en
fleurs. Enfin, disons que ses fleurs sortent de l'ombre. Un peu
partout, comme ça, naturellement, des groupes connaissent la
consécration du public, sortent d'excellents albums, tournent à
toute blinde : Tame Impala, Jacco Gardner, Dorian Pimpernel,
Melody's Echo Chamber, Thee Oh Sees et des centaines d'autres, plus
ou moins bons et célèbres. Quand on dit renouveau, il faut
s'entendre : aujourd'hui, si la belle plante hallucinogène qu'est le
rock psychédélique est en fleurs, c'est sans les couleurs criardes
des pétales, les longueurs fatigantes et les senteurs faussement
orientales de certains des années 60-70. Au vingt-et-unième siècle,
on ne garde que la sève : de la mélancolie spatiale, des mélodies
ciselées avec toujours un truc qui cloche, des trouvailles sonores
et une atmosphère à la "Alice au pays des merveilles" qui
enchantent le crâne… Les teenagers préfèrent le psychédélisme
au babacoolisme pour résumer, et c'est heureux, comme
dirait l'autre.
Mais que donne la musique ? Elle
rappelle les Beatles de "Revolver", Love, les Byrds
parfois. Et on ne fait pas le rapprochement avec de si grands noms
pour rien : chacun des morceau est mémorable à un moment ou à un
autre, pour une phrase collant parfaitement avec la musique ou une
mélodie magique. C'est très anglais, genre lord nonchalant
vaguement mélancolique, tirant parfois vers l'élégance glam d'un
Marc Bolan ou d'un David Bowie, mais restant psychédélique, et
anglais, voilà, du psychédélisme anglais. Donc arpèges, couche de
brume colorée, chœurs...
La voix envoûte, traversant les
multiples structures d'une seule et même chanson, nous y entrainant,
de couplet en refrain, enivrante autant que les sons autour d'elle.
"Keep in the dark", "The golden throne",
"Sun structures", comme autant de cathédrales tombées du
ciel, sont peut-être les meilleurs exemples de cet imbriquement de
plusieurs dimensions musicales en un même morceau : toutes les
trente secondes, un changement de mélodie ou d'atmosphère nous
téléporte ailleurs, les fredonnements de James Bagshaw en fil
d'Ariane.
Et si l'air change, le lieu reste le même :
château du XIXème abandonné, demeure de passage des magiciens et
autres esprits heureux. Des violons ou des chœurs passent en chorale
fantôme, un orgue allume des cierges et les guitares miment les
sculptures, les peintures, les jardins entourant l'édifice. Chaque
pont nous montre une autre facette de l'endroit, chaque écoute
révèle de nouvelles plantes poussant dans la pierre.
Les perles se
succèdent donc, merveilleuses, profitant de quelques écoutes pour
révéler leur finesse : "Shelter song", "Test of
time", "Move with the seasons", "Keep in the
dark", "The golden throne"… C'est banal à dire mais
on pourrait les citer toutes, tant, même en n'aimant pas une intro,
un riff ou un refrain, on trouve un instant qui nous enchante, un son
d'orgue ou de synthé qui change tout, un break ouvrant une porte
magique, tirant la mélodie à l'autre bout du monde…
On
parle depuis le début de pop, de finesse, mais en grosses guitares
les messieurs s'y connaissent aussi. Du riff de "Sun structures"
à celui de "A question isn't answered", jusqu'au break de
"Keep in the dark", où à force de distorsion on entend
presque un saxophone, la lourdeur mastoc est là, mais jamais en gros
accords plaqués, toujours en mélodies sur-amplifiées. Parlant de
lourdeur, la batterie est un des seuls reproche que l'on peut faire à
l'album. Sur certains morceaux elle est beaucoup trop en avant, trop
bourrinée, et c'est peut-être là que l'on regrette l'absence d'un
"vrai" producteur et d'un meilleur studio (comme avec le
"Lonerism" de Tame Impala), qui auraient garanti un son
d'une qualité largement supérieure. On chipote, direz-vous. Ouais.
Une pléthore d'arrangements et de sonorités étranges
enfin, rappellent volontairement un paquet de choses, tournant
toujours autour du même axe béni : les sixties (donc le
psychédélisme anglais et californien, les belles guitares, les
bandes sons d'où sortent des harpes, des orchestres colorés, le
style Syd Barett et le glam de T Rex qui arrive - tout ça casé dans
"Keep in the dark", 4min37).
Par leur fétichisme
ces messieurs recréent une époque - et la recréent vraiment - , ce
qui n'est pas quand on y pense un tour de prestidigitation aisé. Ces
gens là ont un peu de mages en eux. En cette musique fluide se
fondent et se mélangent classicisme pop et modernité, haies bien
taillées et fleurs en vrac, réunies dans un même jardin sonore.
Tirons notre haut-de-forme aux Temples pour nous l'avoir fait
visiter.
THE TEMPLES Keep in the dark (Clip officiel 2014)