Sun structures

The Temples

par Rémi Bouzols le 24/06/2014

Note: 9.0    
Morceaux qui Tuent
Keep in the dark
Test of time
The golden throne


Le psychédélisme est à nouveau en fleurs. Enfin, disons que ses fleurs sortent de l'ombre. Un peu partout, comme ça, naturellement, des groupes connaissent la consécration du public, sortent d'excellents albums, tournent à toute blinde  : Tame Impala, Jacco Gardner, Dorian Pimpernel, Melody's Echo Chamber, Thee Oh Sees et des centaines d'autres, plus ou moins bons et célèbres. Quand on dit renouveau, il faut s'entendre : aujourd'hui, si la belle plante hallucinogène qu'est le rock psychédélique est en fleurs, c'est sans les couleurs criardes des pétales, les longueurs fatigantes et les senteurs faussement orientales de certains des années 60-70. Au vingt-et-unième siècle, on ne garde que la sève : de la mélancolie spatiale, des mélodies ciselées avec toujours un truc qui cloche, des trouvailles sonores et une atmosphère à la "Alice au pays des merveilles" qui enchantent le crâne… Les teenagers préfèrent le psychédélisme au babacoolisme  pour résumer, et c'est heureux, comme dirait l'autre.

Mais que donne la musique ? Elle rappelle les Beatles de "Revolver", Love, les Byrds parfois. Et on ne fait pas le rapprochement avec de si grands noms pour rien : chacun des morceau est mémorable à un moment ou à un autre, pour une phrase collant parfaitement avec la musique ou une mélodie magique. C'est très anglais, genre lord nonchalant vaguement mélancolique, tirant parfois vers l'élégance glam d'un Marc Bolan ou d'un David Bowie, mais restant psychédélique, et anglais, voilà, du psychédélisme anglais. Donc arpèges, couche de brume colorée, chœurs...

La voix envoûte, traversant les multiples structures d'une seule et même chanson, nous y entrainant, de couplet en refrain, enivrante autant que les sons autour d'elle. "Keep in the dark", "The golden throne",  "Sun structures", comme autant de cathédrales tombées du ciel, sont peut-être les meilleurs exemples de cet imbriquement de plusieurs dimensions musicales en un même morceau : toutes les trente secondes, un changement de mélodie ou d'atmosphère nous téléporte ailleurs, les fredonnements de James Bagshaw en fil d'Ariane.
Et si l'air change, le lieu reste le même : château du XIXème abandonné, demeure de passage des magiciens et autres esprits heureux. Des violons ou des chœurs passent en chorale fantôme, un orgue allume des cierges et les guitares miment les sculptures, les peintures, les jardins entourant l'édifice. Chaque pont nous montre une autre facette de l'endroit, chaque écoute révèle de nouvelles plantes poussant dans la pierre.

Les perles se succèdent donc, merveilleuses, profitant de quelques écoutes pour révéler leur finesse : "Shelter song", "Test of time", "Move with the seasons", "Keep in the dark", "The golden throne"… C'est banal à dire mais on pourrait les citer toutes, tant, même en n'aimant pas une intro, un riff ou un refrain, on trouve un instant qui nous enchante, un son d'orgue ou de synthé qui change tout, un break ouvrant une porte magique, tirant la mélodie à l'autre bout du monde…

On parle depuis le début de pop, de finesse, mais en grosses guitares les messieurs s'y connaissent aussi. Du riff de "Sun structures" à celui de "A question isn't answered", jusqu'au break de "Keep in the dark", où à force de distorsion on entend presque un saxophone, la lourdeur mastoc est là, mais jamais en gros accords plaqués, toujours en mélodies sur-amplifiées. Parlant de lourdeur, la batterie est un des seuls reproche que l'on peut faire à l'album. Sur certains morceaux elle est beaucoup trop en avant, trop bourrinée, et c'est peut-être là que l'on regrette l'absence d'un "vrai" producteur et d'un meilleur studio (comme avec le "Lonerism" de Tame Impala), qui auraient garanti un son d'une qualité largement supérieure. On chipote, direz-vous. Ouais.

Une pléthore d'arrangements et de sonorités étranges enfin, rappellent volontairement un paquet de choses, tournant toujours autour du même axe béni : les sixties (donc le psychédélisme anglais et californien, les belles guitares, les bandes sons d'où sortent des harpes, des orchestres colorés, le style Syd Barett et le glam de T Rex qui arrive - tout ça casé dans "Keep in the dark", 4min37).

Par leur fétichisme ces messieurs recréent une époque - et la recréent vraiment - , ce qui n'est pas quand on y pense un tour de prestidigitation aisé. Ces gens là ont un peu de mages en eux. En cette musique fluide se fondent et se mélangent classicisme pop et modernité, haies bien taillées et fleurs en vrac, réunies dans un même jardin sonore. Tirons notre haut-de-forme aux Temples pour nous l'avoir fait visiter.



THE TEMPLES Keep in the dark (Clip officiel 2014)