| | | par Chtif le 18/10/2004
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| D'abord, il y a le roi : Pete Townshend, guitariste-compositeur illuminé, à la gestuelle unique et l'ego surdimensionné.
Puis, son cavalier : Roger Daltrey, chanteur efficace, bagarreur, mais réduit à jouer les seconds rôles derrière son génie de leader.
Vient ensuite le fou : Keith Moon, au jeu incompréhensible de baguettes tournoyantes, éternel gamin en implosion permanente.
Enfin, la tour : John Entwistle, bassiste novateur (il signe le premier solo de basse dans un morceau de rock en dynamitant "My generation"), pilier de scène imperturbable et mur porteur du groupe entier.
Mettez ces quatre-là en jeu, et c'est l'anarchie sur l'échiquier, l'anéantissement total de l'adversaire. Tous les moyens sont bons : saccage du matériel, larsens provoqués, moulinets de guitare, sauts intempestifs, lancés de baguettes et de micros... Et par dessus tout, les chansons, fédératrices, pleines de rage et d'envie. Mieux valait ne pas trop s'approcher de la scène lorsque les Who jouaient.
"The kids are alright" film initialement paru en 1979, est aujourd'hui restauré, rallongé, et 5.1-isé en DVD. Au programme, près de deux heures de folie furieuse piochées dans quinze ans d'archives vidéos : débuts télévisés en playback, pitreries taquines en interview, extraits de concerts, aperçus de répétition, conversations titubantes de coin de table...
Le film ne joue pas le coup classique du "documentaire" chronologique et pompeux, encore moins celui du "greatest clips" sans âme. Dirigé par un fan, il consiste en un patchwork passionnant et bordélique qui prouve tout simplement que personne ne pouvait surpasser les Who sur scène. Il n'y a qu'à regarder pour s'en convaincre ce "See me, feel me" définitif, asséné à Woodstock. Daltrey y est impérial. A bout de souffle, Townshend a les doigts ensanglantés mais continue de frapper sa guitare... Devant 400 000 festivaliers nocturnes, il ne s'agit plus de musique, mais de communion. Townshend offre un refuge, un exutoire complet pour toute une g-g-g-g-génération alors pleine d'espoir utopique d'un monde meilleur. En seul rival crédible d'Hendrix, il fait corps avec son instrument, le maltraite, le caresse, et déploie une dynamique sonore inédite au cours de "Sparks".
La dernière prestation scénique de Keith Moon est également présente, avec les précurseurs "Baba O' Riley" et "Won't get fooled again". Sans être un hommage au légendaire batteur (fauché par un cocktail explosif de médicaments contre l'alcoolisme en 1978), le film gravite pourtant autour des facéties du bonhomme. Avec émotion, on le retrouve ivre de bonheur pendant "A quick one" lors du fameux "Rolling Stones rock'n roll circus", ou devisant gaiement avec Ringo Starr, son alter ego des Beatles. Le montage de "Cobwebs and strange", lui, est un joyeux fourre-tout dédié à ses relations houleuses et passionnelles avec les chambres d'hôtel.
Aujourd'hui, avec deux pièces en moins (Keith Moon, donc, et John Entwistle, mort d'une overdose en... 2002), la fin de partie approche. La révolution globale rêvée par Townshend n'aura pas eu lieu, mais les Who auront tout de même réalisé le tour de force de faire fantasmer les foules en étant l'un des groupes les moins glamours du rock.
"The kids are alright" est le film rock parfait : réalisé sans complaisance aucune (désolant spectacle d'un Keith Moon de retour en studio après des mois de débauche, incapable de retrouver la sauvagerie de son jeu), il dresse le portrait d'une époque aujourd'hui bien révolue où la musique pouvait encore galvaniser les foules et représenter un danger pour l'establishment. Ceux qui ne l'ont pas connue peuvent désormais visualiser le phénomène devant leur télé, sans risquer de se prendre une cymbale sur la gueule. Ce qui, d'ailleurs, est le seul problème de ce DVD... |
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