French suite

Thomas Savy

par Sophie Chambon le 07/02/2010

Note: 10.0    

Les premières notes de l’ouverture font entendre le son chaud, ample et boisé de la clarinette basse : parfums de voyage, résurgences immédiates d’albums d’autres clarinettistes, en partance pour des contrées aux musiques riches et profondes. Thomas Savy ne nous était certes pas inconnu, mais nous n’avions pas vraiment eu l’occasion de l’entendre, y compris dans son dernier "Archipels" sorti chez Nocturne : on découvre donc un musicien libre, sauvage, abrupt même, qui se livre à l’improvisation sur des compositions qu’il a imaginées pour la plupart. Une musique inspirée, jusqu’à la transe, étourdissante "Stones", avec un son clair et profond, du vif argent. Cette "French suite" a été enregistrée à Brooklyn avec une paire rythmique cent pour cent américaine, Scott Colley et Bill Stewart. Ces deux là, nous avions eu le plaisir de les suivre lors de l’enregistrement à L’AJMI, à Avignon, d’un album en quartet, jamais sorti hélas, avec le guitariste Rémi Charmasson et le magnifique souffleur, free lui aussi, André Jaume. On sait donc de quoi ces Américains-là sont capables : ce sont des "professionnels" au sens le plus noble du mot, des perfectionnistes du rythme, accomplis, rapides, brillants plus qu’émouvants, mais capables d’une énergie intense, toujours très justement employée.

Il y a dans cet album une évidence absolument lumineuse, sans la moindre trace de séduction facile. Du jazz cent pour cent pour la centième référence de "Plus Loin Music", emblématique des productions de ce label bien nommé. Ce titre anniversaire "rythme son histoire" et l’emmène encore un peu plus loin sur son fil conducteur, le jazz. Du jazz donc, mais sans complexe qui rend aussi hommage aux aînés : deux compositions reprises avec humilité et talent, sans fioriture, dans le respect des figures tutélaires Duke Ellington pour "Come sunday" et John Coltrane pour "Lonnie’s lament". Thomas Savy livre toute sa créativité dans cette fièvre improvisatrice, poussé dans ses derniers retranchements sur les tempos vifs par ses complices qui le stimulent avec intelligence. Un trio hors pair est né, enthousiasmant par la pertinence des échanges. Le clarinettiste sait s’abandonner sans retenue mais sans emphase ni violence éructante : il laisse alors apparaître une véritable rigueur et aussi une tendresse particulière pour cette musique, soutenu par une rythmique au sommet de sa puissance, non dénuée de musicalité ("Stones"). De vrais musiciens de jazz qui dominent le rythme avec élégance. Quant à Thomas Savy, il met ses pas dans ceux de ses "pères", n’oubliant pas ces repères uniques que sont Michel Portal et Louis Sclavis. Quand on vous disait "Du jazz à l’état pur" qu’il fait drôlement plaisir d’entendre encore aujourd’hui…

NB : pour cette centième, Plus Loin propose "French suite" en édition limitée au format carré 17cm, avec un dépliant BD.