The best of 1990-2000 & the B-sides

U2

par Filipe Francisco Carreira le 30/11/2002

Note: 9.0    
Morceaux qui Tuent
Gone
Discotheque
Numb
Until the end of the world
One


En 1980, un groupe à peine sorti de l´adolescence émerge entre punk et new wave avec beaucoup d´envie et autant de fraîcheur. Trois ans plus tard, il s´affirme avec son troisième album, "War", brut, lyrique, extatique et invente malgré lui ce que les médias paresseux qualifieront de "rock héroïque", simplifiant à l´extrême une musique certes positive et volontaire mais cependant habitée par le doute, une musique où les messages à caractère universel s´inscrivent dans une quête personnelle, capable de déplacer les foules en s´adressant à chacun de nous. Délaissant presque aussitôt son invention au profit de Simple Minds ou de Big Country, U2 décide d´aller voir ailleurs. Où exactement ? Eux-mêmes ne le savent certainement pas mais savent comment y parvenir et décident pour cela d´engager Brian Eno qui, coupé de la scène musicale contemporaine, ne souhaite a priori pas être dérangé. Harcelé par Bono, l´homme fait preuve de bon sens et préfère collaborer avec les Irlandais plutôt que d´appeler la police. La suite verra U2 s´installer sur le toit du monde, au propre - la vidéo de "Where the streets have no name" - comme au figuré : les quinze millions de "The joshua tree" écoulés. Au début des années 90, malgré le succès, le groupe est au bord de la séparation. Le mur de Berlin s´effondre et les idéologies vacillent, les raves apparaissent et The Edge les fréquente, la ligne entre le bien et le mal, le réel et l´artificiel, se brouille dangereusement et le groupe se retrouve face à ses propres contradictions : peut-on encore incarner la simplicité et l´authenticité quand on est devenu riche et célèbre ? U2 décide une nouvelle fois de se remettre en question et part enregistrer à Berlin, en plein chaos. En octobre 1991, "Achtung baby" s´installe dans les starting-blocks, "The fly" ouvre les hostilités : les guitares sont abrasives, le son froid et dur, la voix sèche, les paroles obscures. Le résultat est un décapant mélange de rock toxique et de dance infectieuse. Le clip permet de constater le changement de look de Bono qui a troqué ses chemises de grand père pour un ensemble vinyl et choisi d´assumer - de s'amuser ? - de son statut de pop star. A l´époque, les radios "libres" - ainsi parlait encore Patrick Bruel - n´osent passer l'effrayant "The fly", préférant en faire la publicité à intervalles d´autant plus réguliers. On invoquera sans peine un défaut de timing : Nirvana n´a pas encore explosé et cette musique de fous n´a rien à faire sur un média officiel. De la même façon, l´édition limitée du "Best of 1990-2000", agrémentée d´inédits, fait l´impasse sur ce titre emblématique qui ne figure en définitive que sur la version mono-cd. L´absence de "Lemon", dance trop barrée pour être dansante où Bono et les siens tutoient le Bowie glacé de "Low", constitue l´autre déception majeure d´un disque qui, pour le reste, illustre parfaitement la décennie passée, faite d´aventures et d´expériences. "All that you can't leave behind", expression d´une démarche plus traditionnelle, n´est représenté que par les méga-tubes "Beautiful day" et "Stuck in a moment you can´t get out of" alors que son prédécesseur, "Pop", aux ventes plus modestes, se manifeste en trois occasions. D´autres détails prouvent que ce "Best of" va au-delà de la compil à succès bête et méchante et privilégie les fans, comme en témoigne la présence de deux inédits de haute volée, l´enlevé et entêtant "Electrical storm" et le sombre et délicat "The hands that built America", tiré du "Gangs of New York" de Scorsese. Par ailleurs, si l'inclusion de "The first time", "Until the end of the world" et "Gone" surprend - ces trois titres ont en commun de n´être jamais sortis en single - leur (ré)écoute permet de relativiser les inévitables erreurs de casting mentionnées précédemment. "The First time" est beau comme l´aube après une nuit d´orage, "Until the end of the world" n´a rien perdu de son caractère jouissif et pénétrant et le nouveau mix de "Gone", plus ample, moins raide et moins étriqué que l´original, s´offre des moyens à la hauteur de sa puissance lyrique. Trois autres titres font l´objet d´un traitement inédit : "Discothèque" se montre plus compact et plus déterminé, "Numb", plus sensuel et bouillonnant ; seule la nouvelle version de "Staring at the sun" ne parvient pas à surpasser l´original. Au chapitre des relectures, le second disque, consacré aux "B-sides" - le terme a manifestement survécu à la disparition du quarante-cinq tours - propose essentiellement des remixes. Si le "Perfecto mix" de "Even better than the real thing" par Paul Oakenfold a quelque peu vieilli en dépit de son audacieux parti pris dance, si le "Salomé zooromancer remix" finit même par irriter, le "Lemon jeep mix" prend l´auditeur à contre-pied pour mieux le séduire, le Gun mix de "Happiness is a warm gun", emprunté aux Beatles et revisité façon rap blanc, convainc et "Lady with the spinning head (Extended dance mix)" emballe. Quelques perles pop disséminées ici et là - "Summer rain" - autorisent un retour mérité vers le "Best of" et le simple plaisir de redécouvrir les classiques du U2 des années 90 prime alors sur toute autre considération : le riff diabolique de "Even better than the real thing", la volupté de "Miss Sarajevo" et la beauté saisissante de "One" achèvent de prouver que, non, U2 n´est pas le groupe des années 80 : il est bien plus que cela ! Aucun autre groupe n´aura réussi à concilier sur une telle durée succès de masse et authentique exigence artistique. Si U2 n´est certainement pas le groupe le plus inventif de sa génération, il en est devenu le plus incontournable, livrant ses plus belles batailles au sommet de sa popularité, se renouvelant avec persistance et intelligence, faisant preuve d´un panache exemplaire jusque dans ses erreurs et ses faux pas, donnant ainsi une des plus belles expressions au chaos actuel.