Eclipse (Collection Freedom now)

Wadada Leo Smith Golden Quartet

par Sophie Chambon le 21/04/2008

Note: 9.0    

"Listen to the film and watch the music", voilà le pari que s'est fixé La Huit Editions avec cette série de films musicaux captés au Festival Banlieues Bleues. La série s'intitule "Freedom now" et chaque réalisateur a l'entière liberté de filmer la musique à sa guise. La dernière livraison donne de la production actuelle un échantillon fort intéressant et contrasté dans les approches. Chaque film est confié à des cinéastes pour qui la musique est choisie comme un authentique sujet de travail. La carte blanche qui leur est confiée permet de dépoussiérer les codes plus ou moins figés de la représentation de la musique filmée, problème qui se pose également au théâtre. L'image est souvent privée de sens quand on regarde de la musique enregistrée en concert.

Jacques Goldstein s'est attaché à suivre le Golden Quartet de Wadada Leo Smith en 2005. Filmé dans un beau noir et blanc, avec une grande précision, il isole chacun des musiciens qu'il met ainsi en valeur (Vijay Iyer aux claviers électroniques, John Lindberg à la basse et Ronald Shannon Jackson à la batterie), ne donnant pas souvent une image d'ensemble du quartet mais s'attachant plutôt à rendre perceptibles les différentes phases de jeu, le jazz en train de se faire. L'engagement du quartet est intense : le titre du Dvd, "Eclipse", convient parfaitement : Wadada Leo Smith pense que le musicien a la responsabilité de faire tout oublier au spectateur, lors de ce moment d'intensité partagée du concert. Entrecoupant chaque morceau, de courts extraits d'une interview (que l'on retrouve dans le bonus) éclairent non sur le parcours véritable du musicien, mais sur sa conception de la musique : tout part du blues, "un état d'esprit qui permet de naviguer de la tristesse à la joie, une musique confiante en elle même, la sensation ultime". Wadada Leo Smith qui a grandi dans cette musique, ressent cet ancrage tradtionnel et en même temps le vit dans une tout autre dimension.

Comment évoquer la personnalité de ce trompettiste d'exception ? Il a été une figure importante de la Great Black Music, a participé aux travaux du groupe expérimental majeur fondé en 1965 Art Ensemble of Chicago, alias AACM (Association for the Advancement of Creative Musicians). Mais avec ce Golden Quartet, dont le nom est finalement explicite, il est arrivé à une plus grande sérénité, moins intransigeant et solitaire. Maturité ou sagesse, qui se ressentent dans cette musique aux aspects bleutés, qui peut faire songer à Miles Davis. Sa propre musique systémique s'éloigne désormais du free jazz d'Ornette Coleman, ne répond plus d'ailleurs au vocable du jazz mais plutôt à celui de "Creative music". Le jazz en effet s'est codifié au cours des années, a écrit son histoire propre, et même si elle est grande partie improvisée, cette musique se distingue de l'improvisation libre, sans idiomes, sans styles, qui développe un vrai langage, une vision d'un monde différent.
Le travail du réalisateur révèlera à beaucoup la personnalité de Wadada Leo Smith et ravira les amateurs de la Great Black Music, heureux de suivre un magnifique concert de ce musicien majeur.