Summerteeth Deluxe Edition (20th anniversary)

Wilco

par Jérôme Florio le 17/01/2021

Note: 9.0    

Toujours plus proche d’un melting pot idéal, "Summerteeth", le troisième disque de Wilco, perd le nord de toute boussole musicale. Un état au diapason de la désorientation qui semble gagner le compositeur et chanteur Jeff Tweedy, entre vie de famille abîmée par la route et addiction aux antidouleurs. La noirceur de certains textes ne gangrène pourtant pas un disque au fond lumineux, qui trouve son équilibre entre mélodies accrocheuses, solides traditions et coups de bistouri expérimentaux apportés en studio par Tweedy et Jay Bennett. La présente réédition concoctée par Rhino en quatre Cd reprend le disque original, une collection de demos et versions alternatives, et un concert enregistré à Boulder (Colorado) le 1er novembre 1999.

On ne retrouve plus guère sur "Summerteeth" de traces de la country alternative des débuts, Wilco ayant semble-t-il soldé cet héritage avec "Mermaid avenue" (mise en musique de textes de Woody Guthrie avec Billy Bragg au chant, enregistré avant de terminer "Summerteeth"). S’en rapprochent tout au plus la longue balade "Via Chicago" éclatant en orage électrique (Neil Young), ou le jeu au bottleneck sur "ELT", à la fois immédiatement pop-rock et au bord de la dislocation. Les chansons sont comme assiégées par des expérimentations. "Every little thing is gonna tear you apart" : désorienté, repentant et pourtant en pleine bourre créative, à la limite de perdre les pédales en studio, le tiraillement de Jeff Tweedy est fécond.

"Une musique qui fait penser à une belle limousine montée avec des pièces récupérées dans les casses du pays", comme le dit la chronique écrite en 1999 sur sefronia.com. "Summerteeth" évoque aussi un zapping frénétique entre stations de radio spécialisées – plongée à l’intérieur du paysage mental de Tweedy. Le son power pop de l’époque (les faux branleurs Weezer) infuse l’ensemble du disque de son énergie ("Can’t stand it", "I’m always in love", "Summerteeth"). Wilco brasse en même temps les traditions soul (l’orgue à la Donny Hathaway sur "Can’t stand it", les chœurs) et americana (un cool que ne renierait pas Josh Rouse sur "How to fight loneliness", "When you wake up feeling old"). Beach Boys et Beatles sont aussi de la partie, via des ponts étonnants ("Nothing’severgonnastandinmyway (again)", "Can’t stand it") ou la construction  de "Pieholden suite". A la différence cependant de ces derniers, les références à la drogue n’ont rien de follement colorées ni joyeuses ("A shot in the arm", formidablement arrangée par ailleurs). Un peu d’acidité pour relever le tout : orgue à la Doors sur "Candy floss" (un coup à l’endroit / un coup à l’envers), et ailleurs des claviers aigrelets. La fragilité se fait sentir sur "We’re just friends" jouée au piano, sur laquelle point l’influence de Bill Fay, majeure pour Jeff Tweedy.

Le deuxième disque de la réédition propose d’abord une fournée de démos acoustiques enregistrées par Tweedy seul à la guitare, sans doute chez lui. "Tried and true" (déjà exhumée ailleurs en version studio), "All I need" douloureux brouillon de "A shot in the arm", "I’ll sing it", "No hurry", sont inédites. On a la confirmation du talent d’écriture de Jeff Tweedy, qui essayait à l’époque de se hisser à la hauteur de ses modèles littéraires ou musicaux. Il est impossible de savoir la direction qu’elles prendront ensuite en studio ; un premier aperçu est donné avec les versions alternatives de "Pieholden suite", "Tried and true", "Summer teeth" ou des bouts d’intro ("Candy floss"). Certaines semblent enregistrées live, et c’est brillant, peut-être avant les reliftings égoïstes et obsessionnels que leur ont fait subir Tweedy et Bennett. "Viking Dan" est le seul inédit finalisé de la sélection, à l’emphase pas si loin des Waterboys.

Les deux Cd du concert donné à Boulder le 1er novembre 1999 montrent le groupe à un moment de bascule. La première partie de ce long concert est principalement consacrée aux titres de "Summerteeth", où le groupe parvient avec application et sans effort apparent à retranscrire les expérimentations tous azimuths du travail studio. A l’époque Wilco est déjà une machine de scène bien huilée par des tournées au long cours. Le deuxième disque du concert revient sur la période pré-"Summerteeth", beaucoup plus roots et les musiciens s’en donnent à cœur joie. Ils semblent libérés des contraintes imposées par Bennett et Tweedy, ce dernier (qui a l’air un peu défoncé, en bon outlaw country) s’effaçant au profit d’une ribambelle de riffs et de licks de guitare country-rock.

La suite de l’histoire sera instable pour le groupe, avec de nombreux changements de musiciens jusqu’à une formation en gros stabilisée à partir de 2005. Une période riche en disques excellents, mais qui laissera sur le bord de la route Jay Bennett, l’autre architecte de "Summerteeth".




WILCO Pieholden suite (Alternate) (Audio seul 1999)



WILCO Viking Dan (Outtake) (Audio seul 1999)


WILCO A shot in the arm (Live 1999)