Chroniques Concerts

Jean-Claude Vannier : Histoire de Melody Nelson & L'Enfant assassin des mouches - Paris Cité de la Musique 22 Octobre 2008

Posté par : Jérôme Florio le 27/10/2008

Pendant deux soirées à guichets fermés, la Cité de la Musique a invité Jean-Claude Vannier à réinterpréter en intégralité "Histoire de Melody Nelson", le cultissime concept-album écrit avec Serge Gainsbourg en 1971. Le spectacle a été créé au 2006 au Barbican Center de Londres, avec en invités Jarvis Cocker, ou Badly Drawn Boy... la perspective d'entendre ce chef-d'oeuvre joué par une partie des musiciens d'origine ajoute encore à la petite pointe d'excitation que l'on ressent en se rendant au concert - une sensation bien agréable et pas si fréquente. La scène est encore vide, on examine sa configuration : à gauche, la section rock, au centre et à droite, l'Orchestre des concerts Lamoureux. Au fond, les pupitres pour le jeune Choeur de Paris : on frissonne d'avance en imaginant ce que cela pourra donner !

Avant le chef-d-oeuvre, les hors-d'oeuvre : Jean-Claude Vannier, humour à froid et pince sans-rire, nous présente une sélection de chansons et de thèmes écrits pour des films, regroupés sous l'appellation "Les bis". Selon Vannier, ce sont ses chansons "pestiférées", des "saucissons avariés" dont personne n'a voulu, et bien entendu ceux qu'il préfère. Il s'installe au piano pour nous faire déguster le premier titre, "Chansons d'amour", sur lequel la masse orchestrale de l'orchestre Lamoureux se déploie tranquillement. Déjà, un putain de bon son.Mais Vannier, dans  le registre vieux crooner désabusé mais sensible, n'est quand même pas un grand chanteur. Il s'installe ensuite au pupitre  pour l'instrumental "Thème 504", sur lequel déboule la section rock. Aperçu rapide des musiciens, dont les CV cumulés sont d'une longueur effarante : Pierre-Alain Dahan, formidable batteur (présent sur "L'Enfant assassin..."), Herbie Flowers, bassiste ("Melody Nelson"), et Claude Engel, guitariste "légendaire" ("L'Enfant assassin..."). Et là, on est à deux doigts de pleurer : putain, ce son !!! La basse de Herbie Flowers ! La guitare Fender de Engel ! Cela venge de tous les concerts de rock mal sonorisés dans lesquels on nous traite comme du bétail. Neuf titres s'enchaînent, alternance de chansons ("Une petite fille", "La chanson rose", "Cannabis"...) et d'instrumentaux ("Slogan", "Géraldine"...).

Le Jeune Choeur de Paris rentre en fond de scène, pour participer à l'interprétation de "L'Enfant assassin des mouches", composé par Vannier en 1972 à la suite de "Melody Nelson". En une nuit de travail, Gainsbourg a fourni une courte trame narrative : une sorte de conte dans lequel un enfant est puni de sa cruauté pour avoir torturé le Roi des mouches. Englué dans un "papier tue-enfant", il finira noyé sous l'essaim vengeur. C'est une suite instrumentale en totale liberté, qui emprunte autant d'éléments au rock qu'à la musique contemporaine. Sur le bord droit de la scène, le bruiteur Michel Musseau se chargera d'intermèdes réjouissants : marche sur un bac de gravier, torture de guitare électrique, percussions sur enclume et batterie de cuisine, déréglage de piano, métronomes et robots mixeurs... il est secondé Marcel Valtry, jeune comédien qui prête ses traits à l'Enfant, dont les apparitions viennent scander le déroulement de l'histoire. Plus tard, un quatuor de collégiens (deux violons, un alto, un violoncelle) s'installe sur le devant de la scène pour ponctuer les derniers titres. Tout cela est assez réjouissant, la musique libre et inventive, avec des fantaisies de mise en scène (réglée par Vannier et Clémence Weill) : les interventions de Musseau, son jeu avec Valtry, l'ochestre qui agite des foulards et le choeur des bombes insecticides... un bon moment.

Entracte. On se réinstalle pour entendre "Histoire de Melody Nelson". La basse d'Herbie Flowers rentre, puis la batterie mate de Dahan et la guitare de Claude Engel. Fichtre, le même son que sur le disque, quel pied ! Le comédien Mathieu Amalric vient assurer la voix sur "Melody". Sa diction sobre et maîtrisée est au service du texte, plein d'images percutantes, parmi les meilleurs que Gainsbourg a écrits (et plus généralement un monument de poésie). Montée en puissance électrique, irruption des cordes : on boit du petit lait. Martina Topley-Bird rentre en scène pour donner la réplique à Amalric - "tu t'appelles comment ? Melody. Melody comment ? Melody Nelson. ", les deux seuls mots qu'elle prononcera de tout le concert. Martina porte une robe rouge bouffante, ses cheveux sont blond platine et ce n'est pas leur couleur naturelle. La transition avec "Ballade de Melody Nelson" est assurée : Brian Molko (de Placebo) rentre sur scène. Motif de basse de Herbie Flowers, repris ensuite par le second et excellent guitariste Thomas Coeuriot, c'est parti. Molko, sur les premières mesures, est à la limite d'en faire trop, mais parvient à contenir ses penchants lyriques (même s'il ne peut s'empêcher d'accentuer le mot "conne" pour faire rock). Puis c'est Brigitte Fontaine qui va se cogner aux ondulants murs de cordes sur "Valse de Melody" : démarche hésitante et raide, robe de bal noire, physique rapace et chiffoné... sa personnalité parvient à rattraper une interprétation vocalement moyenne. On se laisse bercer par l'orchestre Lamoureux. "Les murs d'enceinte/Du labyrinthe/S'entrouvent sur l'infini"... "Ah ! Melody" est chanté par Daniel Darc, malingre et ravagé dans un jean tout tire-bouchonné. Il va gagner en assurance tout au long de la chanson et en proposer une vraie interprétation. Physiquement, la comparaison est dure pour ce hère mal en point quand Alain Chamfort se ramène : habits cintrés, corps svelte, chaussures impeccablement vernies, Chamfort nous fait visiter avec élégance l'interlope et colonial "Hôtel particulier". L'orchestre Lamoureux prend le dessus à la fin du morceau, Chamfort s'en extirpe d'un chuchotement : "Melody...". Le défoulatoire "En Melody" s'ensuit, avec une rythmique funk terrible et la cantatrice Seaming To aux onomatopées. Elle s'en donne à coeur joie, on pense bien sûr à Yoko Ono et son cri qui tue, peut-être une influence pour Vannier. Déjà, l'apothéose de "Cargo culte" se prépare : Mathieu Amalric revient, le motif de basse de "Melody" reprend. "Cargo culte" est un texte sublime, et c'est l'actrice Clotilde Hesme qui prend la main : elle est bluffante, complètement dans le truc, diction et voix parfaites, présence à l'avenant. "Cargo culte" progresse vers son climax tonitruant, emporté par les choeurs. C'est déjà fini, tout le monde revient sur scène pour se faire longuement applaudir. Un rêve qui est bien sûr passé trop vite..




Alain Bashung - Grenoble Summum 8 Octobre 2008

Posté par : Francois Branchon le 17/10/2008

"Chanteur d'un groupe" plutôt que chanteur "accompagné d'un groupe", Alain Bashung a respecté sa tradition au Summum de Grenoble, le Zénith local, énième étape d'une tournée (d'adieux ?) à rallonges qui marquait l'ouverture du festival Rocktambules.

L'ambiance country-folk et le parti-pris "pop et léger" donné par Gaëtan Roussel, l'homme de Louise Attaque, au dernier album "Bleu pétrole" ne tiendront que les premières chansons ("Comme un Lego", "Hier à Sousse", "Je t'ai manqué") avant de basculer vers des tensions plus profondes, de laisser des failles s'ouvrir, béantes, et que s'y engouffrent les sons et les chansons, de tous albums confondus.

Devant une rythmique efficace (basse sobre, limpide et musclée, batterie souvent fine mais au son électronique parfois trop clinquant), deux instruments harmoniques encadrent Bashung qui, parfois assis, parfois debout, "bouge immobile" : à gauche un guitariste filou auquel on pardonne son laisse aller - quelques poses maniérées et tics de hard-rockeux déplacés - tant il est expert en sons et atmosphères, petit "État dans l'État", à son affaire au creux de son nid d'amplis Marshall quand il alterne arpèges et sur-saturations, guitare "sèche" (parfois outrageusement amplifiée) et électriques - Gibson 335, rouge évidemment, Stratocaster -, dobro, banjo et mandoline. A droite, un violoncelliste, qui va démontrer que son instrument a une vie hors des Suites de Bach. Un monde à lui tout seul, tirant à peu près toutes les ambiances possibles et imaginables de ses cordes et son archet, du pizzicato gracile (en duo avec le banjo sur "Venus") aux vagues déferlantes  de "Osez Joséphine".

Tout le monde le sait, il ne s'en cache pas et cela se voit, Bashung souffre d'un cancer. Mais face à l'effort évident d'être là, avec autant d'élégance, debout (jusqu'au bout ?), on ne se sent évidemment pas le droit de lui reprocher de le mettre un rien en scène, particulièrement sur le second rappel, une reprise seul, face à la salle éclairée, d'un "Nights in white satin" lui offrant l'alibi de nous crier "I love you", la main en signe d'adieu. On t'aime aussi Alain, et ton concert était puissant et magnifique.


ALAIN BASHUNG Mes prisons (Paris Olympia 2008)