Chroniques Films

Inland empire de David Lynch (avec Laura Dern)

Posté par : Jérôme Florio le 17/02/2007

Le nouveau film de David Lynch pourrait bien être son plus émouvant. Bon, je dis ça à froid, le lendemain d'une première vision, et ce n'était pas exactement mon état d'esprit pendant ou juste après la projection : comme "Lost highway" ou "Mulholland Drive" (sans la séduction immédiate de ce dernier), "Inland empire" fait son petit bonhomme de chemin, une fois entamée la digestion du flux d'impressions emmagasinées en presque trois heures de temps.

L'énergie que confère à David Lynch l'utilisation de la DV est palpable. La caméra est plus mobile que dans ses films précédents, il filme à bras-le-corps et colle au plus près des visages – on dirait parfois des tronches de poissons rouges dans leur bocal ! On a l'impression d'un film marabout de ficelle : les scènes semblent naître les unes des autres, sans chronologie ni unité stylistique. Mais pas une n'est loupée, toutes touchent au but dans leur genre (angoissant, épileptique, romantiqueÂ…) : c'est un tour de force qui n'a rien à voir avec le hasard.

Les films de David Lynch sont des spirales qui s'enfoncent de plus en plus profondément : la grande nouveauté est qu'au bout de "Inland empire" on trouve la lumière. Rarement on aura senti le cinéaste autant en empathie avec un de ses personnages. Laura Dern (alias Nikki Grace) porte le film à elle seule, pour une performance à la hauteur de Gena Rowlands chez John Cassavetes. Lynch nous fait partager son combat contre la folie (la confusion croissante entre son personnage d'actrice dans un remake de film maudit et sa vie réelle), et lui prend la main pour la traversée d'un long cauchemar, vécu comme un parcours initiatique à l'issue jusqu'au bout incertaine.

Tous les ingrédients d'un "soap-opéra" sont réunis : le mari, la femme, l'amant, la bicoque luxueuse. Et aussi le désir sexuel, la fascination, la douleur, la peur. Ce sont les sentiments, presque primaires, de Nikki Grace qui semblent gouverner le film. Elle se retrouve aux prises avec Le Fantôme, un personnage maléfique qui flaire la souffrance et se précipite pour s'en délecter (comme le Bob de "Twin Peaks" se nourrit de "garmonbosia" - terme inventé qui signifie "douleur") : mais David Lynch donne à Nikki le moyen de terrasser le monstre, pour un happy-end lumineux et sans ambiguïté. A travers elle, Lynch fait communiquer des femmes d'époques différentes, qu'elles soient prostituées polonaises ou habitantes du beau quartier hollywoodien d'Inland Empire. Il fait ressentir l'universalité de leur douleur et des histoires d'amour tragiques.

NB : pour ceux tentés de quitter la salle, on leur conseillera de revenir pour le générique de fin, un beau morceau d'énergie vitale où tout le monde se réunit et danse sur l'étourdissant "Sinner man" de Nina Simone - avec en cameos Laura Harring (la brune de "Mulholland Drive") et Ben Harper (Mr Laura Dern à la ville). Par ailleurs, on entend in extenso "Black tambourine" de Beck. A côté de nombreux morceaux du compositeur Krzysztof Penderecki, Lynch et Angelo Badalamenti (discret mais très bien) livrent deux chansons bien dans leur style : une sorte de hip-hop jazzy tout froissé et rauque, et une chanson éthérée qu'aurait pu interpréter Julee Cruise.