Ghost ships (avec Bill Stewart & Anton Denner)

Bill Carrothers

par Sophie Chambon le 01/03/2003

Note: 9.0    

Dans "Ghost ships", on retrouve la griffe Sketch, la cohérence esthétique et artistique du label : l’objet en premier lieu, digipack à la pochette ombrée de fantômes de textes, aux lignes tressées des couleurs de chaque instrument et par ailleurs, un son impeccable orchestré par le fidèle Gérard de Haro, même si pour la circonstance, il s’est déplacé à New York pour suivre le trio de Bill Carrothers, Anton Denner et Bill Stewart. Car il s’agit une fois encore, d’un véritable trio et non pas du disque d’un leader, pianiste de surcroît, excellemment entouré pour la circonstance. Dans la poursuite infernale engagée par le trio, quand on s’attache à suivre un de ces trois musiciens, on est happé invariablement par les deux autres : impossible de se détacher de l’ensemble, on est arrimé au mât aussi sûrement qu’Ulysse et ses compagnons sous l’emprise de Circé, la magicienne. Car une véritable fascination se dégage de cette suite de mélodies qui s’enchaînent inéluctablement jusqu’à l’épisode (épilogue) final, histoire du rêve américain qui a subi désillusions et désenchantements. En effet, l’album, enregistré un an jour pour jour, après le 11 septembre 2001, vibre d’un certain sentiment national (et non nationaliste). On connaît l’attachement de Bill Carrothers à l’Amérique et à son histoire, depuis le très beau disque sur les chants de la guerre de Sécession "The blues and the greys". Après un premier thème du trio, symbolique de rassemblement, c’est un air traditionnel, "The Navy hymn", à l’allure de marche funèbre qui clôt l’album, après une version détournée, distordue du "God bless America". Car entre temps, des thèmes d’Irving Berlin, Duke Ellington, Wayne Shorter et Brown/de Silva/Henderson ont rejoint les compositions du trio ou celles signées Bill Carrothers. Une musique grave, exaltée, exigeante, lyrique et sombre que servent à merveille les roulements de caisse drus et rageurs de Bill Stewart, la plainte rauque et tendre des saxophones d’Anton Denner, le martèlement lent et pénétrant du piano. Ecoutez seulement "In the wheelhouse" pour vous en convaincre. Une musique d’atmosphère qui saisit inéluctablement : on ne peut que s’abandonner en frissonnant à ce climat étrange, fantastique comme dans un film du genre, inquiétant, et pourtant jamais pesant. Quant à l’histoire, chacun peut bien se raconter la sienne, au final, ne demandez pas pour qui sonne le glas…