Time of the last persecution

Bill Fay

par Jérôme Florio le 07/06/2008

Note: 10.0     

"Share Jesus without fear" : partagez Jésus sans crainte… en cherchant des informations sur Bill Fay sur le net, je suis tombé sur le site d'un homonyme… évangéliste. Et pourquoi pas : entre lumière et angoisse, ce slogan ferait un bon résumé des chansons de "Time of the last persecution", second disque de Fay, paru sur Deram en 1971.

Réédition après réédition, les disques de Bill Fay vont bien finir par accéder à la reconnaissance qu'ils méritent. Les jeunes lettrés du folk-rock américain - Will Sheff (Okkervil River) ou Jeff Tweedy (Wilco) - poussent en ce sens : Tweedy a récemment invité Fay à reprendre sur scène "Be not so fearful" (sur "Bill Fay", 1970). Un coup de pouce tardif mais bienvenu, pour un artiste dont les disques n'ont jamais vraiment rencontré leur public. A l'époque de sa sortie, le folk très orchestré de Bill Fay a été comparé à Bob Dylan. Faute de mieux : à plus de trente ans de distance, on pense davantage à John Cale ("Inside the keepers pantry"), Townes Van Zandt, ou un Colin Blunstone qui broierait du noir ("Don't let my marigolds die") – Fay tutoie ce niveau d'écriture-là. Ces cousinages s'imposent moins pour les similitudes musicales que pour la sensation d'être devant une œuvre solitaire, aux prises avec on ne sait quels démons intérieurs. Bill Fay n'est pas un chanteur extraordinaire, mais la fêlure est là en permanence : on a l'impression d'assister à la bataille d'un homme écartelé entre l'espoir en un hypothétique sauveur (le flippant "Til' the Christ come back"), et des traumatismes bien réels ("Pictures of Adolf again"). "Time of the last persecution" est traversé de part en part d'impressionnantes bouffées d'angoisse, soulignées par des arrangements de cordes mélodramatiques et des accès de fièvre rock théâtrales (quasi progressif !) : la guitare électrique guette le moment de s'échapper comme un fauve en cage, pour déranger des compositions sur le fil du rasoir. Entre de belles accalmies (le rock et racé "Dust filled room", "Tell it like it is"), "Time of the last persecution" laisse échapper un chaos que Bill Fay semble comprimer avec difficulté : "Laughing man", "Release is in the eye", ou "Come a day" qui appelle le jour où les "nations n'auront plus le dernier mot" – à la différence de "Imagine" de John Lennon, on n'est pas pressé que cela arrive… la chanson, sur un rail que l'on sent fragile, finit par dévisser pour de bon : accompagnée par un saxo dément, la guitare s'en va faire un tour à l'asile, laissant le reste de la chanson faire du sur-place.

"Time of the last persecution" est à ranger du côté torturé de la discothèque, près de "Tonight's the night" (Neil Young), tout Townes Van Zandt, "Music for a new society" de John Cale, Alex Chilton… un endroit à l'abri de la lumière, mais où les disques ne prennent pas la poussière.


OKKERVIL RIVER Pictures of Adolf again (Bill Fay)