Chroniques Volume I

Bob Dylan

par Jean Daniel Mohier le 11/12/2005

Note: 8.0    

Depuis les délires de "Tarentula", on désespérait de revoir Dylan prendre la plume. Et, si dans nos rêves les plus fous on se disait que cela pourrait tout de même arriver un jour ou l’autre, on avait toutes les raisons de craindre que la montagne accouche d'une souris. Ou plutôt d'un nouveau pied-de-nez dylanesque à la face de la critique et des milliers de freaks transis, dévorés par le désir d'en savoir plus sur le sieur Zimmerman. Au lieu de ça, dans une écriture belle, limpide pourrait-on dire, Dylan se livre comme jamais il ne l’avait fait. Et c’est la première chose qui frappe. L’écriture de Dylan. Presque classique. On le savait poète, le voici écrivain.

Dylan parle de son arrivée à New York, de la neige, du fait qu'on y marche beaucoup et que si on veut y survivre, il faut garder ses pieds en bon état. L’atmosphère du Village en ce début des années soixante y est décrite avec une précision étrange, presque onirique. Bien sûr, on n’échappe pas aux visites à Woody Guthrie (avec Arlo tout gamin, dans le gourbi marécageux où finit sa vie le grand poète militant), aux appartements squattés, jusqu’à ce que Dylan mette les voiles avec la collection de disques rares de l’un ou de l’autre. Lui qu’on imaginait profiteur et sans cœur, rend hommage, souvent avec classe. Pris dans ce creuset new-yorkais, une nouvelle scène folk naît sur les traces des chanteurs populaires des années 50, notamment les engagés Pete Seeger et Woody Guthrie. Dave van Ronk, Fred Neil, Karen Dalton, Phil Ochs, tous sont là, et on se dit finalement qu’ils n’attendaient que lui, Bob Dylan au Gazlight ou au Café Wha ? C’est l’époque des premiers cachetons, les premières fiertés aussi. Bientôt, John Hammond père le repérera et le fera entrer chez Columbia, et Lou Levy lui fera signer son premier contrat. Lui qui, dit-il aurait été heureux de signer le premier papier qu'on lui aurait tendu.

Et puis il passe à la "Dylan-mania" et à ses excès dont il ne s'explique toujours pas les causes. Il refuse en bloc l'étiquette qu'on lui a collé. Celle de chef de file d'une génération, pénétré d'idées révolutionnaires. Le roi sans couronne, accompagné de sa reine, Joan Baez. Lui, il se voit comme un troubadour, un saltimbanque, un musicien qui gagne sa vie en faisant (jusqu'à aujourd'hui et probablement jusqu'à sa mort) des concerts. Pas comme un leader, pas comme un auteur de protest-songs. On y voit un Dylan humble, mais jamais affecté. On ne saura rien dans ce "Volume I" de la "grande époque" qui s'étend de "The freewheelin" jusqu'à "Blonde on blonde". Au contraire, Dylan va décrire la gestation d'un album mineur, "New morning", mais qui a une signification pour lui. Un retour à la vie et à la musique. Un bon disque mais pas de ceux qui sera longtemps soumis à interprétation.

Plus tard, il décrira un opus déjà bien meilleur, "Oh mercy", et ses séances d'enregistrement à la Nouvelle Orléans avec Daniel Lanois que Dylan rencontre grâce à son ami… Bono. On entre là dans la cuisine. Comment naît une chanson, d’où viennent ses arrangements, qu’est ce qui fait que ça fonctionne, et surtout comment on combat à chaque instant la frustration ; celle que l’on ressent lorsqu’on abandonne un titre avec le sentiment d’avoir tout essayé, mais de n’avoir pu en tirer le meilleur. Et puis, il y les moments quotidiens, ceux où il est simplement le mari (de qui n'est jamais très clair, d'une année et d'un flash back à l’autre, cela a changé, mais il n'en est pas fait mention), le père, le type ordinaire qui va faire ses courses. A ce détail près que des gens se massent parfois devant sa maison parce qu'il n'ont trouvé que lui à suivre, à son grand désarroi.

Lui, n'avait jamais signé pour ça. Juste un bout de papier pour faire un disque de folk, et rendre (entre autres) hommage à Woody Guthrie. Qu’il le veuille ou non, il s’est construit une légende.