Lumière

Christian Brazier

par Sophie Chambon le 27/05/2002

Note: 9.0    

Le contrebassiste Christian Brazier avoue une relation privilégiée à la mer qu'il a sillonnée pendant sa jeunesse et à la Méditerranée qui a su le retenir par sa lumière crue et insolente. Aussi les huit pièces assez longues, qu'il a toutes composées pour cet album traduisent si l'envol vers un ciel pur et azuréen, parfois tragique comme le soulignait Giono, et on peut lire un certain rapport du travail à la mer dans la peinture des chantiers navals de la Ciotat, de Jean Pierre Giacobazzi, qui illustre la pochette. Voici un disque qui s'inscrit dans la tradition du jazz. Aisément identifiables, résonances free et incandescence dès le premier titre "Lumière", souffle tellurique, emballement, voire "danse en transe" comme dirait ce génial allumé du manche, Claude Barthélémy, tous les éléments de cette musique sont là . Apparaissent délibérément dans cet album lumineux, vibrant , poétique et éclatant, la variété des thèmes, des climats traversés dans une géographie imaginaire aux directions désorientées. Quant à l'instrumentation, elle a tout de la performance et de l'échange : au quartet de base déjà présent dans le précédent album Le temps d'un rêve (contrebasse, batterie, saxophone et trombone) se rajoutent deux autres souffleurs André Jaume, un des musiciens incontournables du Sud, polyinstrumentiste inventif et chaleureux, co-fondateur du label Celp, Akosh S. avec lequel Christian Brazier travaille depuis deux ans, et aussi le guitariste sculpteur de son, Philippe Deschepper, épris lui aussi de Marseille. Ainsi le "Loup garou" des forêts de Transylvanie se réincarne t-il dans le feulement de la clarinette métal d'Akosh S. qui crie, hurle mais aussi jubile dans cette mélodie sur mesure, festive, inspirée de la tradition tout en la retraversant avec une certaine folie. Dans "Tout, tout de suite", Christian Brazier, fidèle à l'esprit même du jazz, voulait voir s'affronter en une poursuite seulement musicale deux des brillants saxophonistes, alors que dans "La marche des gallinacés", c'est à l'unisson au contraire que trombone et saxophone vont de pair en s'enroulant l'un à l'autre. De cet ensemble clos dans lequel les diverses interventions se juxtaposent, des personnalités visiblement contrastées se surimposent avec délicatesse. Ainsi en est-il des trois souffleurs de génération différente qui participent assurément de la même famille. De ces univers éclatés naît une certaine harmonie, résulte une vraie lumière, où le jazz sait trouver son chemin. Ce disque assurément ne manque pas de cohérence. Et s'il déploie un lyrisme tendre dans un langage musical où se fondent nombre de références aimées, l'ensemble sait garder unité et originalité. Si Christian Brazier est "entré dans le jazz par le free", plus encore que le style, ce qui le séduit c'est le travail sur le son. Et après avoir écouté cet album, on est convaincu qu'il a sa place aux côtés de ceux qui font l'actualité. C'est d'une évidente clarté.