Sazanami

Christian Brazier

par Sophie Chambon le 30/05/2007

Note: 9.0    

La tentation est grande pour un musicien-compositeur de se lancer dans l'aventure du solo, cette traversée périlleuse de certaines limites. Si nombre de pianistes de jazz s'y sont essayé dernièrement avec plus ou moins de bonheur, ce n'est pas encore un passage obligé pour d'autres musiciens dont l'instrument peut s'avérer moins "complet". Christian Brazier, lui, en rêvait depuis longtemps. Pour ce contrebassiste sudiste, il s'agit effectivement d'un pari, d'une tentative issue d'une tentation avouée.

Grand admirateur de Barre Philips, installé en France dès 1968 avec les improvisateurs libres (écoutez "Journal violone 9" chez Emouvance, autre label du Sud), il ne voulait pas pour autant se lancer dans une œuvre expérimentale, ni donner une leçon de contrebasse avec ou sans archet, en 25 séquences. Il avait plutôt envie de faire partager ce qui a traversé son horizon musical, de s'arrêter un instant sur ce qui passe, cet éphémère qui demeure trace : ainsi est né "Sazanami" (rides à la surface de l'eau, en japonais), recueil de petites pièces pas si faciles, qui coulent pourtant avec bonheur sur une durée idéale de 45 minutes. On le voit, on est loin de l'achèvement, du définitif.

Le choix de la composition de ce livret d'éclats, de ce florilège de haïkus, tient à un rien qui est tout : le temps. Temps de la musique, de l'écriture, temps suspendu, temps anachronique. Architecture sonore de XXV Haïku/Miniature à prendre comme un geste, un affleurement, qui, même répété, éclaire le lieu de la cristallisation, du "mémorable". Ces compos et impros que l'on ne différencie que par le numéro, conduisent sans violence dans un univers singulier et impressionniste qui s'accorde aux cordes frottées, pincées, aux pizzicati nets et droits. Christian Brazier a sculpté le temps, autorisé des respirations qui font entendre la musique dans tous ses états, dans tous ses éclats : la pulsation, qui bat avec une mystérieuse simplicité est enfin perceptible.

Rien de sévère ni de docte dans ces petites pièces qui s'enchaînent avec une ferme douceur, coupées de superbes interludes cuivrés, reflet de sensibilités bienveillantes, de l'ouverture au final (Christophe Leloil, grand trompettiste, que l'on peut entendre chez Sylvia Versini avec le tout jeune tromboniste Bastien Ballaz, et Philippe Renaud, le tromboniste ami, complice des trois derniers albums du contrebassiste). Variant les nuances de l'instrument, Christian Brazier joue sur deux basses choisies avec soin pour leurs qualités de résonance, leur boisé, ou leur puissance. Il explore les possibilités de l'instrument, toujours avec une grande fluidité mélodique, alternant des pièces vibrantes avec d'autres aux cadences moins rapides.

Si les basses pouvaient parler, elles nous diraient que l'on entend s'exprimer un artiste qui raconte une histoire très personnelle, avec une grande maîtrise de son instrument, intégrant audacieusement le temps du silence, d'un certain vide, qui demeure musique.

Rendons hommage encore au label sudiste Celp produit par Robert Bonaccorsi (directeur artistique de ce festival formidable de la Seyne sur Mer) et André Jaume, clarinettiste et saxophoniste immense, figure incontournable du jazz. Avec une belle couleur d'azur méditerranéen et des œuvres picturales en couverture (ici, "Le clochard et la geisha" du peintre Alain Paparone, Celp a su se créer une identité, même si la distribution est horriblement difficile, les seuls Allumés du Jazz s'en chargeant actuellement.