Mémoire vive

Christian Brazier

par Sophie Chambon le 30/09/2004

Note: 9.0    

Christian Brazier poursuit son exploration, en sextet cette fois, toujours fidèle au label varois Celp de Robert Bonaccorsi et André Jaume, en compagnie de musiciens qu'il aime et qui l'ont déjà accompagné dans ses disques, dont le remarquable "Lumières" en 2002.

Sans changer de style, de personnage, mais en creusant son chemin un peu plus profondément, le contrebassiste parvient à instaurer une harmonie plus que convaincante, une entente possible sans être fusionnelle, où le jazz trouve sa voie. Ancré solidement dans la tradition de la musique jazz, "Mémoire vive" en contient tous les ingrédients : improvisation, swing, émotion. Et si on perçoit moins, dans ce nouveau projet, la fascination pour le sud, la mer et les exotiques contrées, cette aventure entièrement conçue par le contrebassiste, marseillais d'adoption, nous embarque dans un voyage plus ou moins rêvé, du premier titre joyeusement tous cuivres ("Le Palais du peuple") au plus mélancolique "Cargo sentimental" qui clôt l'album.

Christian Brazier, génération oblige, est "entré dans le jazz par le free", mais il est plus séduit, aujourd'hui, par le travail sur la mélodie et il cherche à raconter une histoire. Et il sait drôlement bien le faire dans cet album. L'instrumentation tient encore comme dans les précédents albums de la performance et de l'échange, entre personnalités qui se surimposent avec délicatesse dans de fiers échanges à l'unisson, tissant une trame serrée et complice : une histoire de souffles, de cordes et de frappes. Plus qu'une conversation de groupe, la musique circule dans une géométrie de complémentarité et de contrastes. Christian Brazier peut être satisfait du choix de son équipe : Thierry Maucci, le saxophoniste complice avec lequel il partage beaucoup de projets prend souvent des solos exaltés voire bouleversants (écoutez le sur "Le chemin inverse"). Le tromboniste Philippe Renault, dont le parcours, depuis le classique, a suivi une inflexion audacieuse, prend un solo chavirant dans "Cargo sentimental", s'ajointe à merveille au saxophone dans "Le Chemin inverse", qui serait considéré comme "un tube" dans d'autres musiques. Le batteur Marc Mazzillo précis et fougueux s'illustre à son tour sur "Nouvelle cuisine" spécialement écrit pour lui. Quant au guitariste Philippe Deschepper, en plasticien, il occupe un espace à part mais sait se fondre aux autres en véritable sculpteur de son. Il n'y a plus d'invités comme dans l'album précédent, et on retrouve plus longuement André Jaume, "infatigable improvisateur", poly-instrumentiste talentueux, maître incontesté de la clarinette basse dans le milieu des musiciens, souvent ignoré de ceux qui ne pénètrent guère dans les terres sudistes.

"Mémoire vive" assurément ne manque pas de cohérence et déploie un lyrisme tendre, en un langage musical vibrant et lumineux, mais aussi tendrement mélancolique. Cet album révèle un compositeur et un leader inspiré : un long travail de préparation, une écriture très travaillée sont à l'origine d'un travail collectif assumé, où, à l'écoute des autres, de tous ces personnages en quête d'auteur, Brazier maintient le cap, acceptant d'être directif parfois, même au niveau des structures libres. Il est bien question de mémoire, et vive encore dans ce disque : la pochette, une peinture originale d'Alain Paparone, s'accorde aux compositions du contrebassiste, de facture moderne et classique à la fois. Un bel objet musical au final.