Wings of joy

Cranes

par Emmanuel Durocher le 19/01/2008

Note: 9.0     

"Wings of joy" évoque la bande son d'une "Alice aux pays des merveilles" réalisée par Tod Browning ou David Lynch, à l'inspiration puisée dans un imaginaire victorien fantasmé à partir de visions monstrueuses et de cauchemars surréalistes. Ce premier véritable album des Cranes est le fruit d'une collaboration d'Allison et James Shaw commencée au milieu des années 80, le nom du groupe se référant aux nombreuses grues qui brisent l'horizon de Portsmouth d'où la chanteuse et son frère sont originaires, et les répétitions se déroulèrent dans les ruines de l'opéra de la cité portuaire où Ken Russel imagina son "Tommy".

Il y a quelque chose de malsain dans la musique des Cranes qui fait automatiquement son charme : les ambiances torturées et oppressantes de Jim emprisonnent la frêle voix de femme-enfant de sa sœur – une dentelle à la finesse extrême portée par des arpèges funèbres de piano et des violons en pizzicato mais déchirée par des guitares à la limite de la saturation (on est en pleine période shoegaze), une basse étouffante et une batterie brutale et sauvage. Des chansons à la beauté morbide où règne une osmose quasi incestueuse, chaque parole est un appel au secours, chaque échappée est vouée à l'échec, chaque envolée destinée à s'écraser, chaque note d'espoir promise à disparaître – ce n'est pas des titres comme "Inescapable", "Tomorrow's tears", "Beautiful sadness" qui viendront contredire ce constat.

On l'aura bien compris, "Wings of joy" - augmenté dans cette réédition de sept titres - n'est pas précisément un album pour faire la fête mais plutôt un objet macabre terriblement séduisant et impossible à décrire, une sorte d'Ovni pas complètement gothique ni vraiment noisy mais totalement à part sorti un peu dans l'anonymat en 91 entre "Loveless" de My Bloody Valentine, "Fakebook" de Yo La Tengo, "Blue lines" de Massive Attack ou "Nevermind" de Nirvana – les grands crus d'une excellente année.