Woodstock diary

D.A. (Donn Alan) Pennebaker

par Francois Branchon le 19/09/2019

Note: 9.0    
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Célébration des cinquante ans de Woodstock, suite (et fin ?) avec la deuxième réédition de "Woodstock diary", le film-documentaire tourné sur place par le récemment disparu D.A. Pennebaker, publié une première fois en 1987, et augmenté en 1994.

De Woodstock, on connaît le film officiel de Michael Wadleigh (assisté du alors tout jeune Martin Scorcese) sorti en 1970. Un film axé sur l'événement en soi (la foule en marche, la défonce, la pluie, les aléas...) et dont les passages musicaux conservés étaient très partiels au vu du nombre de groupes présents et d'heures enregistrées et filmées. De quoi à l'époque faire grincer nombre de dents parmi les oubliés, tant ce film propulsa quelques carrières à l'étage grand public mondial (Ten Years After, Santana, Joe Cocker, Richie Havens ou les Who).

"Woodstock diary" lui est au contraire axé sur la seule musique, privilégie la scène, en nous montrant quasiment tous les groupes, même furtivement (à l'exception de Creedence, Grateful Dead et Crosby, Stills & Nash avec Young, absents). Avec en atout la science accomplie du reportage de Pennebaker qui sait capter les petits détails qui font la différence - un Bill Graham planqué derrière la sono de Santana ne lui échappe pas. Du coup le film originel de Wadleigh parait très daté. Ce montage de 1994 propose en préambule un entretien vingt-cinq ans plus tard avec les trois protagonistes de l'affaire : Michael Lang, le (toujours jeune et toujours poupon bouclé) hippie d'une part, John Roberts et Joel Rosenman d'autre part, les deux entrepreneurs joueurs (en 1969 on fumait jusqu'à Wall Street), eux-mêmes toujours très laid back. Woodstock restait pour eux un souvenir amusant, une collection d'anecdotes loin de cette "nostalgite" qui a envahi nos media actuels. Seul manque à l'appel Elliott Tiber, celui qui trouva le lieu après toutes les interdictions, et fit que Woodstock se tint là où il se tint, en l'occurence pas à Woodstock. Tiber en avait écrit un livre, adapté au cinéma par Ang Lee ("Taking Woodstock").

Revenons à la musique. Le festival de Woodstock n'est pas le plus grand de l'Histoire, pas plus en fréquentation - il y eut bien plus de monde l'année suivante à Wight - qu'en qualité d'affiche. Les grands noms internationaux du moment n'y sont pas et on retrouve entre Américains, avec les abonnés des festivals folk/blues 60's - Joan Baez, en "star" de la soirée d'ouverture, John Sebastian, Tim Hardin, Richie Havens, Arlo Guthrie, Country Joe McDonald seul en acoustique sans son Fish, Butterfileld Blues Band, Canned Heat. Une partie de l'affiche du festival de Monterey de l'année précédente remet le couvert (Jefferson Airplane, Ravi Shankar, Janis Joplin, Jimi Hendrix, Who) et quelques autres Californiens arrivent, Crosby, Stills & Nash (& Young), Santana, Sly & Family Stone - des seconds et troisièmes couteaux complètant le tout (Quill, Sha Na Na, Bert Sommer, Mountain, ...).
Comment donc se revendiquer grand sans les grands noms du moment - Doors, Dylan, Stepenwolf, Cohen, Stooges - et surtout - à part le remarquable Incredible String Band, Joe Cocker et son Grease Band, les has-been Who et semi-has been Ten Years After - les groupes anglais aux abonnés absents : où sont les Stones, Fleetwood Mac, Pink Floyd, Led Zeppelin, Traffic, Jethro Tull, Moody Blues, Clapton et son Blind Faith, Deep Purple, John Mayall, Spooky Tooth, Soft Machine, East of Eden, Fairport Convention, Pentangle, pour ne citer que les gros...

Ainsi que son titre l'indique, "Woodstock diary" est un journal de bord, Pennebaker monte son film en chronologie exacte. On passera sur les ultra-connues images de Santana, Hendrix, le fuck de Country Joe, Ten Years After ou les Who venus là pour se refaire un buzz, pour s'attarder plutôt sur ceux jamais montrés jusqu'ici : Tim Hardin, saisissant de raideur, envoyant un poignant "If i were a carpenter" à un mètre du micro, Arlo Guthrie bourré (mais le public ne jette pas le fils de Woody, "Walkin' down the line"), Joan Baez accompagnée de Jeffrey Shurtleff et Richard Festinger (tous deux membres de la Draft Resistance Organization, le mouvement fondé par David Harris le mari de Baez, tout juste mis en taule en Californie) dédiant un "Drugstore truck drivin' man" au gouverneur Ronald Rea-Guns, Bert Sommer magnifique de pureté ("Jennifer") et l'Incredible String Band ("When you find out who you are") qui hérite de 20 misérables petites secondes, un scandale ! Au rayon cosmique, Ravi Shankar et son complice Alla Rakha sont toujours aussi beaux, et le magique crescendo rythmique de leur nocturne "Evening raga" dut être le catalyseur de dizaines de milliers d'acide en train de décoller... et à propos d'acide, le Jefferson Airplane semble lui en pleine descente, prévu à minuit mais montant sur scène au matin ensoleillé à cause des retards, livrant hilares un "Somebody to love" assez "expérimental" et un "White rabbit" que Grace Slick propulse à elle-seule aux hauteurs attendues.

On reprochera à "Woodstock diary" un montage en trois parties (vendredi, samedi, dimanche), indépendantes les unes des autres, avec leurs propres génériques de début et de fin, non zappables, une probable exigence pour une diffusion tv en épisodes. Mais D. A. Pennebaker est un grand, son film aussi.



BERT SOMMER Jennifer (Live Woodstock 1969)


JEFFERSON AIRPLANE White rabbit (Live Woodstock 1969)


TIM HARDIN If i were a carpenter (Live Woodstock 1969)