HMS Donovan

Donovan

par Francois Branchon le 25/10/2003

Note: 9.0    
Morceaux qui Tuent
The song of the wandering aengus
The seller of stars
The little white road
Queen Mab
Celia of the seals


En 1971, Donovan n'intéresse plus grand monde, son folk rustique a été proprement balayé par l'électricité et quand on évoque encore le folk, c'est mis au goût du rock (Fairport Convention) ou du jazz (Pentangle). Son dernier album Pye en 1968, le coffret "A gift from a flower to a garden" malgré son magistral psychédélisme de salon de thé n'a pas marché et Donovan est réfugié depuis 1970 sur le petit label Dawn (il devra attendre 1973 et une signature chez Epic pour essayer de retrouver une envergure mondiale avec son nouveau groupe Cosmic Wheels).

Cela tombe finalement bien pour lui, car on n'imagine personne sinon un petit label de passionnés assumer ce projet à faire fuir les producteurs : un double album pour enfants inspiré de poèmes anglais. Aujourd'hui réédité par Beat Goes On, "HMS Donovan", pas même publié en France à sa sortie, est toujours dans le monde acoustique, mais les substances à la mode n'étant pas étrangères à son auteur, et les poèmes choisis chez Lewis Caroll (ce cher tonton), Thora Stowell, Edward Lear, Lucy Diamond (!), Thomas Hood ou le grand WB Yeats, incitant à de planantes méditations, leurs mises en musique dépassent de loin le cercle des jardins d'enfants, comme en témoigne par ailleurs la pochette signée du mystérieux "Patrick", sorte de Jérôme Bosch de 12 ans bouffeur de champignons.

Avec quelques comptines, "The star" (poème anonyme), des mélodies plus convenues ("The owl and the pussycat" d’après Edward Lear) et surtout l’intro et son dialogues entre animaux parlant, typique des disques pour enfants, Donovan donne certes le change. Mais dès "Jabberwocky" le deuxième titre (poème de Lewis Carroll), Donovan retrouve son altitude, égrène une musique frêle où la magie opère, en secret équilibre entre les cordes et la voix vibrante, sur des mélodies belles, simples, limpides. A plusieurs reprises, il atteint cette grâce quasi immaculée, "The seller of stars" (de Thora Stowell), "The little white road" (Thora Stowell encore) ou la très courte "The road" et sa guitare si ample.

Tout cependant n'est pas rose. Les quelques titres signés de lui sont les moins inspirés (des chutes, des fonds de tiroir du précédent album "Open road" ?). Sentant l’essouflement, la panne d’inspiration, Donovan y fait du Donovan. Les incursions plus rock ("Homesickness" ) ou bastringue ("Mr wind" ) sont anecdotiques et quelques adaptations sont sans grand relief mélodique ("Fishes in love" , "The pee song", "The voyage of the moon", "The unicorn", "La Moora"...).

Mais comme en début de programme, Donovan sait se faire pardonner, avec "Can ye dance" à l’inspiration traditionnelle, "Henry Martin" ou "Queen Mab" d’après Thomas Hood, une voix qui dessine des arabesques, une guitare qui s’enroule autour, le son de l’une se mêlant à la texture de l’autre, toute une magie. Il frôle le nirvana avec "Celia of the seals" (la seule véritable trace dans les mémoires aujourd'hui), mélodie tubesque et vocaux suspendus sur le pont, contrebasse à l’archet, rythmique catchy, un morceau qui reste dans le crâne (le morceau sortira en single et sera un petit succès).

Mais il l'atteint (le nirvana) avec un trésor caché, "The song of the wandering aengus", poème hanté et mystique de W.B. Yeats, à la sonorité déjà troublante, résonante de "flickering out", "flashing light and colour", "glimmering", "apple blossom", "brightening" et autre "silver apples of the moon" (titre adopté par Judy Collins lorsqu'elle le reprit). Ici tout s'efface, tout s’oublie devant LE chef d’oeuvre, l’égal des plus hauts sommets de Donovan, quand il atteint la lumière, l'harmonie parfaite, quand plus rien ne semble le relier au reste du monde qu'un fil de soie. Il pose sur des arpèges tout bêtes, trois accords et trois notes, ce poème initiatique et poignant sur la quête sans fin du bonheur et les années qui filent. Quatre minutes de beauté, mélancolique et hypnotique comme la lande écossaise sans fin, une fin en évanouissement qui laisse comme victime d’une hallucination.

Inégal mais atteignant des altitudes rares, le double vinyle "HMS Donovan" depuis si longtemps introuvable est aujourd'hui - grande nouvelle - tiré de l'ombre.