Brutal youth

Elvis Costello

par Vincent Théval le 29/08/2004

Note: 9.0    
Morceaux qui Tuent
Kinder murder
13 steps lead down
London's brilliant parade
My science fiction twin


Ah, l'inoubliable année 1994 et la sortie fracassante d'Elvis Costello avec "Brutal youth", l'album du retour au rock ! Car s'il y a bien un avantage à s'éloigner du rock, c'est que l'on peut y revenir. Abonnée aux grands écarts stylistiques (blues, pop, soul, jazz, musique baroque) la discographie d'Elvis Costello est ainsi jalonnée de ces albums du "retour au rock" qui font tant fantasmer les critiques et fans nostalgiques. Ceux-ci et ceux-là vieillissent peut-être moins bien qu'un Elvis qui n'a pas encore atteint l'âge où l'exercice sera pathétique. Voilà pour le "retour". Encore faut-il s'entendre sur ce que recouvre le terme "rock". L'affaire est des plus délicates. Si l'on s'imagine le King à 40 piges déguisé en jeune brute éructant des chansons pop bondissantes comme s'il venait d'inventer le punk, l'after-punk et la new wave d'un seul et même coup, alors non. Si l'on tente de s'accorder sur la présence au premier plan de force guitares, électriques de préférence, c'est encore raté. Il faut bien alors se rabattre sur une définition a minima, moyennement convaincante : "Brutal youth" est un recueil de chansons qui conjuguent simplicité et immédiateté, construites sur l'éternel noyau dur guitare, basse, batterie. Et piano. Et beaucoup d'autres choses, en fait.

C'est ce qui fascine dans ce grand et beau disque : il est le fruit de plus d'une décennie de curiosité assouvie sans complexe, l'adaptation au rock d'une souplesse et d'une finesse acquises à confronter une écriture hors pair à des genres différents. "My science fiction twin" pourrait dater de 1978, n'était-ce cette merveilleuse rythmique toute en rondeurs, ces entrelacs de guitares et de piano, ces ruptures de rythme funambules. Le parfait équilibre entre simplicité et sophistication. Le génie d'un savoir faire technique énorme mis au service non pas d'une esbroufe gratuite mais d'une épure guidée par les chansons. L'équation est encore plus impressionnante sur la triplette de morceaux énervés: "Pony St.", "13 steps lead down" et "20% amnesia". Le son des guitares y est chaleureux, le jeu de batterie de Pete Thomas ferme mais moelleux. Le groupe n'est pas crédité en tant que tel, mais ce sont bien les Attractions qui jouent ici, capables de tout, comme d'emmener "Clown strike" vers quelque territoire jazzy inattendu.

Rien à jeter sur ce disque qui enchaîne surtout de merveilleuses chansons mid-tempo ("Kinder murder", "This is hell", "You tripped at every step" et son clin d'œil au Beatles), mises en valeur par une fameuse paire de producteurs qui a particulièrement soigné le travail : Mitchell Froom et Tchad Blake assurent un son plein, chaud, parfois rêche, toujours en guerre contre le décoratif. Vous noterez enfin que le petit garçon en chemisette, à gauche sur la pochette du disque est le King lui-même. Jeunesse brutale ?