Clair-obscur

Françoise Hardy

par Pierre Herviou le 24/04/2000

Note: 9.0    

Françoise Hardy, dont le charme ne laissa pas indifférents Bob Dylan, Mick Jagger ni David Bowie dès les années soixante et qui travailla plus récemment avec Etienne Daho, Malcolm McLaren, Blur ou Air, renaît des cendres de la passion. Après nous avoir laissés foudroyés par l'orage électrique de "Dix heures en été" illustrant le verdict fatal du "Danger" (1996) où le noir rimait avec désespoir et où la passion paroxystique aboutissait à l'anéantissement général au point "d'aimer pour deux" quand l'autre n'aime pas, il fallait bien sauver nos âmes et apaiser nos angoisses. Quatre ans auront été nécessaires pour donner à ce nouvel album d'autres couleurs, d'autres horizons. Et même si les sentiments sont encore parfois exacerbés, dans quelques textes proches des états d'âmes du "Danger", c'est pour mieux souligner une évolution générale vers une certaine forme de sérénité et d'équilibre retrouvé. Jacques Dutronc reprend en duo un joyau du répertoire de Mireille "Puisque vous partez en voyage" (1936) où l'homme part, certes, mais la femme envisage finalement de le suivre. OL (i.e. Olivier Ngog) propose avec "Celui que tu veux" un voyage pour deux, métissé de sonorités envoûtantes (qui ne sont pas sans rappeler les vibratos syncopés des Neville Brothers) et où la Dame fait à nouveau preuve de son éclectisme musical. Iggy Pop revisite sobrement un classique du Jazz "I'll be seeing you" (1938) enregistré pour la compilation "Jazz à Saint Germain" de 1998 et Etienne Daho assure, à la tierce, "So sad", un standard des Everly Brothers de 1962 (francisé en "Cette maudite solitude" par Ronnie Bird en 1966). A la lumière de ces rencontres masculines, miroitent les multiples facettes de Mme Hardy. Les humeurs détachées, humoristiques ou légères qui nous ramènent trente ans en arrière à l'époque de "Soleil" dont est issue la reprise, toute en délicatesse, de "Tu ressembles à tous ceux qui ont eu du chagrin" (made by Hardy , paroles et musique) orchestrée, pour la circonstance, par le maître de la "noirceur chic" Rodolphe Burger. Mais aussi les humeurs graves avec des chansons étonnamment vocales, inspirées par des mélodies sublimes de Khalil Chahine, Mecano ou Eric Clapton, qui rappellent les plus beaux moments de la période "Gabriel Yared", il y a 20 ans, et où les tapis de cordes et les soli de piano offrent à la voix, si présente cette fois, si pure et si juste, l'écrin idéal et compatible avec les accents trip-hop du nouveau millénaire. Merci Alain Lubrano. L'ensemble révèle une empreinte résolument acoustique et bluesy, à l'instar de "Tous mes souvenirs me tuent" reprise de "Tears" de Django Reinhardt (1937) où Thomas Dutronc, le fiston qui intervient sur plusieurs titres de l'album, assure les guitares solo dans une réalisation de Babik Reinhardt, le fils du père. Une ambiance générale qui met en valeur un phrasé toujours aussi sexy et des textes (neuf signés Hardy) à la valeur littéraire intrinsèque. Ce qui fait de cet album, encore une fois, un disque quintessentiel, inclassable et atemporel. S'il fallait conclure, rappelons que, dès les années soixante, Françoise Hardy, par son unicité physique, artistique et musicale, évoquait déjà l'image de la "femme de l'an 2000" à André Courrèges, Yves Saint-Laurent ou Paco Rabanne. Un présage ?