La France du début
des années soixante est sous une chape de plomb coulée dans le
puritanisme provincial, le refoulement et l'ordre moral. Musicalement
elle n'est guère mieux, partagée entre le "music-hall"
version Chevalier et la Rive Gauche version Ferré-Gréco. Mais sa
jeunesse frétille.
Hormis quelques
privilégiés habitués des disquaires pointus parisiens ou habitant
près des bases américaines (avant que De Gaulle ne les foute dehors
avec fracas), les autres ignorent tout des chansons anglo-saxonnes et
doivent se contenter du filtre malin tendu par les maisons de disques
françaises, qui font enregistrer des traductions à leurs perroquets
maison (Hallyday, Vartan, Rivers, Mitchell ou autre consternante
Sheila de la vague dite yéyé).
Une maison de disques se pose
résolument hors de cette combine, Vogue, du président Léon Cabat et du
directeur artistique Paul Claude. Mot d'ordre : aucune adaptation anglo-saxonne, uniquement des créations. La première à être signée en 1962 est
Françoise Hardy, tout juste aperçue jusque là au Petit
Conservatoire de Mireille. Suivront plus tard, selon la même
logique deux autres
"inclassables", Antoine et Jacques Dutronc, puis Clothilde, Benjamin, Sullivan, Karine, Cléo, Jean-Bernard de Libreville... restés eux au stade de trésors cachés.
Certes, au début, Françoise
sera encadrée musicalement par l'orchestre maison des studios Vogue
de Villetaneuse sous la direction du consternant Roger Samyn, dont les arrangements
plus que légers flirtent avec l'inexistant et l'erreur
d'orchestration. Hardy dira avoir en horreur ses disques de
cette période, écouter "Oh oh chéri" ou "Le temps
de l'amour" conforte ce jugement.
Mais le succès inopiné et
massif de "Tous les garçons et les filles" va changer sa
situation et lui donner la liberté. Et comme son collègue Richard
Anthony chez Pathé Marconi elle va filer enregistrer à Londres, capitale
musicale du monde, se faire produire par Charles Blackwell ou Micky
Jones (futur Foreigner) et Tommy Brown, qui donneront un écrin plus
pop à ses compositions. Les perles vont alors s'égrener
les unes après les autres, régulièrement enregistrées en allemand
et en italien. Vogue essaiera aussi les
Etats-Unis, mais, bien que distributrice en France de grandes maisons
américaines (Warner, Elektra, Scepter, Reprise...) elle ne parvient à sortir "The yeh-yeh girl from Paris" que sur Four Corners
of the World, minuscule label indépendant spécialisé en 'folklores
du monde' (!).
Ce magnifique double
album hommage publié suite à sa disparition cette année synthétise
ses années Vogue, de 62 à 67. Y sont rassemblés tous les titres
incontournables, et même si l'on aurait souhaité l'ajout de
quelques trésors cachés à nos oreilles incontournables ("Peut-être
que je t'aime", "Tu ressembles à tous ceux qui ont eu du
chagrin"...), l'objet - et sa pochette d'une grande pureté - est
évidemment incontournable.
(Existe aussi en CD)
FRANCOISE HARDY Je veux qu'il revienne (TV 1965)
FRANCOISE HARDY La nuit est sur la ville (TV Figue et Raisins 1965)